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les élémens de leur être, et soumis encore aux illusions de l’association par assonance.

Et puis, ils risquent fort de perdre en ampleur, en richesse et en puissance ce qu’ils gagnent en pureté. Toutes ces petites associations dont je parle, parfois nuisibles, sont des forces, et elles vivent. C’est un grand point. De même que l’esprit de famille et l’intensité de la vie municipale peuvent, malgré quelques heurts et quelques discordances, contribuer à la grandeur de l’État, de même la vie propre et égoïste des élémens psychiques peut contribuer à la grandeur de l’esprit. Beaucoup de pureté s’allie trop souvent à pas assez de vie. L’indifférence accompagne volontiers la raison raisonnante et raisonnable, et la passion, si forte et si puissante pour nous faire agir, est toujours quelque chose de trouble et d’imparfait. Si les élémens psychiques ne tenaient pas trop les uns aux autres, il est probable que l’activité de la vie psychique s’en ressentirait, et si les associations par assonance, que nous avons étudiées, venaient, en ce moment, à ne plus se produire et à ne plus entraîner d’erreurs il serait à craindre qu’elles fussent remplacées non par des associations plus régulières, mais par l’absence d’associations, par l’affaiblissement ou la cessation de la vie de l’esprit.

C’est là assurément un défaut de l’esprit, mais ce qui montre sa force c’est que, malgré tout, il continue à vivre et à se développer. L’évolution intellectuelle et morale ne se fait pas graduellement et régulièrement par le développement continu des bons principes et l’élimination des autres, mais avec des arrêts, des secousses, des chocs, par des moyens souvent hasardeux et périlleux, mal adaptés, semble-t-il, à ce qu’ils doivent produire et en contradiction avec la fin poursuivie, qui pour faire triompher les meilleures causes mettent en jeu des procédés déjà dépassés ou condamnés. En cela elle ressemble à l’évolution des sociétés, et la vie sociale nous éclaire au moins autant que la vie physiologique sur la forme et sur le fond de la vie mentale. Mais ce qui est merveilleux, c’est la puissance d’harmonie qui de toutes ces erreurs, de toutes ces méprises, de toutes ces confusions qu’elle n’a pu prévenir et qui jaillissent spontanément du jeu des forces psychiques élémentaires, sait faire sortir un ordre nouveau, qui coordonne tant bien que mal en un système supérieur tous ces petits groupes indépendans d’idées, d’émotions et de perceptions si jaloux de leur indépendance ; qui prévient sans cesse, et souvent