sont de tous côtés introduits dans les charges. De la manière que les choses se font, il est impossible qu’il y ait un pape qui soit élu homme de mérite : car on ne le veut point. » Ce qui dicte à Montesquieu ces paroles sévères, c’est d’ailleurs uniquement l’aversion qu’il éprouve pour la personne de Benoît XIII ; il ne faudrait y voir aucun parti pris d’hostilité contre l’Église en général. L’auteur des Lettres persanes s’est fort amendé, et son impiété frivole a fait place au respect pour des croyances dont il apprécie tout au moins la vertu sociale. À ce point de vue, le Journal contient un curieux passage. Montesquieu assiste à la liquéfaction du sang de saint Janvier à Naples. Le miracle ayant parfaitement réussi, il l’explique par des causes naturelles. Mais il a soin de protester qu’il ne soupçonne les prêtres d’aucune fourberie. Et il ajoute : « Peut-être y a-t-il un véritable miracle ! » Ce n’est pas le ton de Voltaire. Si d’ailleurs Montesquieu déplore les scandales de l’administration ecclésiastique, la misère et la friponnerie de la population actuelle, ces tares ne l’empêchent pas de goûter profondément ce charme particulier qui est celui de Rome et dont aucune autre ville ne donne l’idée. En vérité cette ville est prédestinée, puisque depuis tant de siècles, à travers tant de vicissitudes, elle n’a pas cessé d’être la métropole d’une grande partie de l’univers. Nulle part ailleurs on ne trouverait plus d’histoire et plus d’humanité. C’est ici que toutes les pierres parlent. Un long passé se lève de ces ruines éloquentes. L’histoire de l’antiquité s’éclaire, aperçue dans son cadre. En dépit des changemens, les Italiens d’aujourd’hui portent témoignage pour ceux d’autrefois. « Le peuple de Naples est comme était celui de Rome qui était composé d’affranchis qui n’avaient rien. Aussi était-il crédule, superstitieux, désireux de nouvelles. Le peuple de Naples où tant de gens n’ont rien est plus peuple qu’un autre. Ainsi voit-on peu à peu saillir aux yeux du voyageur les grandes lignes qui seront celles du livre sur la Grandeur et la Décadence des Romains.
Au sortir de la « belle Italie » où l’air est lumineux et les âmes sont légères, le contraste qu’offraient les pays du Nord était trop violent. Montesquieu ne tarit pas de sarcasmes sur la lourdeur d’esprit et l’épaisseur de corps des Allemands. Il constate la détresse des Provinces-Unies. Mais rien n’égale l’horreur que lui inspire la tyrannie militaire du nouveau royaume de Prusse. Dans ce Frédéric-Guillaume occupé à enrégimenter de beaux hommes il ne voit qu’un maniaque. Il mesure avec stupeur les souliers destinés à contenir les pieds de ces géans. Il s’effare comme devant un retour offensif et une rentrée en scène de la barbarie. « Le roi de Prusse exerce sur ses sujets une tyrannie