d’à présent ». Ce n’est pas lui qu’on surprendrait à partager le dédain ou la haine des historiens libéraux pour le pouvoir des doges, le Conseil des Dix, et les Inquisiteurs d’État. « Certes, proclame-t-il, jamais aucun gouvernement défunt n’a mérité un aussi large tribut d’affection et de regrets. » Et ailleurs : « Cent ans se sont passés : maintes formes politiques se sont succédé de par le monde ; nous avons vu tomber des royaumes et des républiques, des nations se sont relevées et d’autres ont péri qui jadis avaient été puissantes ; au prix de leur sangles peuples ont conquis des droits nouveaux ; et bien des fautes ont été réparées, bien des erreurs et des préjugés dissipés ; et cependant, à travers ce mouvement tumultueux des hommes et des choses, si nous jetons un regard en arrière, la République de Venise nous apparaît comme l’un des gouvernemens qui ont le plus chéri la justice et haï l’iniquité. »
Encore les historiens ont-ils une excuse dans leur passion politique : mais ce qui parait à M. Molmenti tout à fait inexcusable, c’est le parti pris avec lequel, depuis cent ans, les poètes, les romanciers, et les auteurs de mélodrames, se sont plu à peindre la Venise des Doges sous les couleurs les plus sombres et les plus sinistres. « Jamais un gouvernement n’a été moins romanesque, nous affirme-t-il, ni n’a donné à un peuple plus de bonheur et de tranquillité. » Il nous rappelle qu’en 1797, lorsque Bonaparte fit incarcérer les Inquisiteurs d’État, les terribles Plombs, ce soi-disant lieu de torture des condamnés politiques, se trouvèrent ne contenir que quatre prisonniers, tous les quatre condamnés pour des crimes de droit commun. Rapts, homicides, guet-apens, délations, et les sicaires, les espions, les bravi, les bourreaux, tout cela n’est que légende inventée à plaisir. Rien ne ressemble moins à la véritable Venise que la Venise des poètes, celle de Victor Hugo, de Manzoni lui-même, celle de Byron qui disait que, si la ville avait le charme d’un rêve, son histoire avait l’horreur d’un cruel cauchemar. Le corps fameux des Inquisiteurs d’État, dont le nom seul remplissait d’épouvante les spectateurs des drames romantiques, c’est en 1539 seulement qu’il a été institué, de longues années après la date des ténébreuses machinations qu’on a pris l’habitude de lui attribuer.
Il y a bien eu dans l’histoire de Venise au XIVe et au XVe siècle deux aventures vraiment tragiques, et qui pouvaient fournir matière à la fantaisie des poètes : celle de Marino Faliero et celle des deux Foscari. Mais mieux aurait valu n’y point toucher que d’en fausser le caractère comme on l’a fait ! « On nous a représenté Marino Faliero comme une