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quittait la ville natale et rejoignait à Madrid son ami José de Salamanca, comme lui riche d’espérances, qui lui procurait un emploi dans les bureaux de la Compagnie du chemin de fer d’Aranjuez. De temps en temps, il faisait visite à son oncle, le solitaire, El Solitario, le poète D. Serafin Estebánez Calderòn dont la protection s’étendait sur lui, capricieuse et souvent ironique, bonté fantasque qui ne l’en touchait pas moins et à laquelle, plus tard, il a rendu pieusement hommage. C’étaient les jours de l’Université où il se liait d’affection avec deux de ses futurs émules en politique, Castelar et Martos, qui tous deux aussi devaient devenir ministres, présidens du conseil et académiciens. L’étude du droit n’emplissait pas toutes les heures et, le soir, une gaie tertulia s’assemblait dans la cal le de la Montera, au petit café de La Esmeralda. Là, autour d’une carafe d’eau claire, on réformait la politique et on renouvelait la littérature. Là, pendant un hiver, quelqu’un s’était assis à la table voisine, qui écoutait, ne soufflait mot et que l’on prenait pour un espion. Nettement averti qu’il gênait, il avait dit : « Je ne reviendrai plus », mais, en se retirant, avait laissé tomber cette prophétie : « Il y en a un de vous, — il le désigna, c’était Canovas, — qui occupera les plus hautes charges et donnera des lois à son pays » ; puis il avait remis sa carte : Joaquin Maria Lopez, le célèbre orateur parlementaire.

Vingt ans : les promesses commençaient à s’accomplir ; Canovas débutait dans le journal La Patria, dans le recueil Las Novedades ; vingt-six ans : les portes de la Chambre cédaient devant lui, et, à trente ans, cédaient les portes de l’Académie. Et la course se précipitait : Canovas rédigeait le manifeste de Manzanares, jetant en des voies moins étroites ce qu’avait de moins vieux le vieux parti conservateur, acceptait des fonctions au ministère d’Etat, allait à Rome comme chargé d’affaires, devenait gouverneur civil de Cadix, directeur général de l’administration, terminait par la pratique son apprentissage, et à trente-six ans, en 1864, dans le cabinet formé et présidé par Mon, recevait, ministre pour la première fois, le portefeuille de l’intérieur. Dès cette première fois qu’il fut ministre, le cabinet, formé et présidé par un autre, prit son nom ; on l’appela le ministère Mon-Canovas. En 1865, sous O’Donnell, il passe aux finances et aux colonies ; il y marque sa présence par un acte considérable : c’est lui qui signe le décret instituant une enquête sur les conditions du travail à Cuba et Puerto-Rico, d’où devait sortir l’abolition définitive de l’esclavage.