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Il est évident que Rome n’est point une ville comme une autre, qu’une certaine esthétique supérieure y a ses droits et impose de ne pas détruire ou amoindrir par des changemens barbares la beauté supérieure qui émane de ses anciens monumens. Les Italiens disent volontiers qu’elle est à eux et qu’ils le feront bien voir ; mais voici les Allemands qui y veulent à côté d’eux droit de cité, par une sorte de souvenir inconscient du Saint-Empire romain germanique, ou bien encore, — M. Curtius l’a dit autrefois dans un éloquent discours, — au nom d’une science érudite qui se vante d’avoir rendu ses titres à l’Italie. De leur côté les Anglais prétendent faire respecter en elle une de leurs stations familières, et les Français ne consentent pas à y être étrangers, au double titre de la communauté de race et du lien religieux. Rome pour tous est une seconde patrie : elle n’a que le dépôt et la garde des grandes œuvres de l’art, patrimoine commun de l’humanité civilisée. Ses monumens sont les témoins de souvenirs qui n’appartiennent pas seulement à elle.

Quand de maladroites réparations, il y a seulement quelques années, parurent devoir compromettre ou déshonorer Saint-Marc de Venise, on vit les Anglais réclamer, faire une agitation par l’organe du Times ; puis leur gouvernement lui-même, par voie diplomatique, interpréta et transmit les griefs, et obtint gain de cause. C’est une doctrine analogue, après tout, à celle que les Chambres italiennes n’ont pas hésité à proclamer lorsqu’elles ont tenté de faire une loi sur la propriété des objets d’art, et la même qui s’exprimait déjà dans l’édit du cardinal Pacca, toujours en vigueur, et en vertu duquel la conservation, la vente, l’exportation des chefs-d’œuvre sont soumises à des règles rigoureuses. Il a été posé en principe que les statues, les tableaux des maîtres, possédés par les particuliers, par les grandes familles romaines par exemple, depuis plusieurs générations, n’étaient pas entre leurs mains au titre d’une entière et pleine propriété. Il a été déclaré, non sans raison, qu’il n’était pas permis au possesseur d’une œuvre historique, d’une statue grecque, d’une toile célèbre, de la modifier à sa fantaisie ou de la détruire. Les antiques contenues dans les galeries du Vatican, les chefs-d’œuvre conservés dans les églises ou dans les collections privées, ont été déclarés n’appartenir entièrement ni au pape, ni au clergé, ni aux détenteurs actuels ; doctrine glissante il est vrai, et avec laquelle il est difficile de faire une loi moderne, mais qu’on ne craint pas d’appliquer en