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l’amener à des déterminations nouvelles. Il a pris son parti avec la même rapidité et la même décision que M. de Bismarck avait pu le faire autrefois, et il s’est tourné du côté de la France. Rien ne l’a plus arrêté. L’état démocratique de notre pays, la forme et le nom de notre constitution politique n’ont eu sur lui aucune influence : ce sont là choses dont moins que personne il craint la contagion. Il n’a vu qu’un fait, à savoir que la France, relevée de ses désastres, était grande et forte, que sa politique était pacifique, qu’elle était indispensable à l’équilibre et à la sécurité de l’Europe, et il lui a tendu la main. C’est lui qui a fait l’alliance. Aussi M. le président de la République a-t-il dû éprouver une émotion très vive lorsque, en longeant les côtes de Danemark, il est passé près du château d’Elseneur et qu’il a reçu le salut de la noble veuve d’Alexandre III. De tous ceux qui lui ont été prodigués, c’est celui qui a dû aller le plus droit à son cœur et y éveiller le plus de gratitude. En quittant la Russie, il a envoyé à l’impératrice douairière un télégramme dans lequel il associait le souvenir d’Alexandre III à la politique de son fils. Et qui sait si ce n’est pas là une tradition qui commence ?

Quant à la France, bien que sa confiance dans ses forces reconstituées lui permît d’accepter son isolement en Europe, l’amitié et l’alliance de la Russie avaient pour elle un trop grand prix pour qu’elle ne mît pas un véritable empressement à répondre aux avances qui lui étaient faites. Il n’y a guère eu, depuis le commencement de ce siècle, de mouvement populaire aussi spontané et aussi entraînant que celui qui s’est produit alors d’un bout à l’autre de notre territoire. Tout le monde sentait que quelque chose de nouveau, de très heureux, de très fortifiant, était en voie de s’accomplir. Tous les partis se sont confondus dans une même joie patriotique. Ceux qui étaient hostiles à la forme républicaine n’ont vu que l’intérêt du pays. Quant au parti républicain, il a vu et il avait le droit de voir dans l’événement, en dehors même des avantages que le pays devait y trouver pour sa sécurité et pour sa dignité, la consécration européenne de la République elle-même. Combien de fois n’avait-il pas entendu répéter que la République était incapable de préparer et de contracter des alliances ? Combien de fois sa politique extérieure n’avait-elle pas été condamnée à l’impuissance par des prophètes de mauvais augure, qui lui déniaient toute capacité et tout moyen de trouver des appuis au dehors ? Ces assertions pessimistes devaient tomber devant l’évidence des faits. Il semble même que le démenti qu’elles en reçoivent soit encore plus éclatant par le caractère de l’allié que nous destinait la