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fortune, puisque c’est le souverain le plus autocrate de toute l’Europe. Quant à nous, nous trouvons dans l’alliance aujourd’hui si cordiale et, comme l’a dit M. Félix Faure, si loyale de la France et de la Russie, la justification des doctrines que nous avons toujours professées, à savoir que les principes de notre politique intérieure n’ont rien à faire avec notre politique extérieure, et que les nations, quels que soient leurs gouvernemens, qu’ils soient monarchies, empires ou républiques, sont, relativement les unes aux autres, dans des rapports qui doivent être déterminés par le seul intérêt de l’État. Qui ne sait combien les doctrines contraires, fondées sur le prétendu principe des nationalités, ou des races, ou sur la propagande de nos principes au dehors, nous ont fait de mal à la fin du second empire ? On distinguait alors les nations en latines, en germaniques, en anglo-saxonnes, etc., et on voyait dans les ressemblances ou dans les différences de race des motifs de rapprochement ou d’éloignement. On montrait plus de sympathie à tel pays parce qu’il était libéral, et moins à tel autre parce qu’il ne l’était pas. L’intérêt d’État qui avait été la règle fixe, immuable, inflexible, souvent même inexorable de la politique française sous l’ancienne monarchie et pendant la révolution elle-même, après les surprises et les confusions du premier moment, l’intérêt d’État semblait devoir céder la place à d’autres élémens directeurs. Les épreuves terribles que nous avons traversées et la force des choses qui se manifeste aujourd’hui impérieusement à nos yeux nous ont ramenés aux conceptions auxquelles ont obéi nos pères. Est-ce que nous demandons compte à la Russie de sa constitution intérieure ? Est-ce qu’elle nous demande compte de la nôtre ? Est-ce que les différences profondes, les oppositions qui existent entre eux ont été une entrave, même d’un moment, au rapprochement des deux pays ? C’est le retour pur et simple aux saines traditions de la politique internationale, qui sont les mêmes dans tous les pays du monde. Le bon sens populaire, guidé par un instinct très sûr, l’aurait imposé aux gouvernemens, au nôtre du moins, si cela avait été nécessaire ; mais cela ne l’était pas, et les hommes qui conduisent les affaires, soit à Paris, soit à Saint-Pétersbourg, sans se préoccuper de ce que peuvent être intrinsèquement la France et la Russie, n’ont songé qu’à leurs intérêts communs.

Une nouvelle page de l’histoire commence : reste à savoir comment elle sera remplie. Après les fêtes d’hier nous allons retomber dans les détails de la politique quotidienne. Un grand silence succédera à tout ce bruit. Des manifestations de ce genre ne doivent pas être renouvelées trop souvent ; leur répétition ne pourrait qu’en