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REVUE DES DEUX MONDES.

— Comment, c’est toi ! Pourquoi ne m’as-tu pas réveillé ?

— Nous arrivons, Titan et moi. Tu dormais de si bon cœur…

Lacoste avait l’air tout heureux :

— Hein ! nous y voilà quand même ! Débarqué d’hier soir, vingt-quatre heures de train ; hommes et chevaux rompus. Mais sur le parcours, quelle ovation ! La nouvelle de Sarrebruck avait tourné toutes les têtes. Des fleurs, des cris : Vive l’armée ! Songe donc ! La première victoire. Nous l’avons apprise à Paris, au moment du départ. Il fallait voir l’enthousiasme ! C’était fou…

Du Breuil hocha la tête.

— Oui, je sais, reprit Lacoste, tout de même, c’est le baptême du feu. Et puis, à peine campé, j’ai le plaisir d’apprendre que nous repartons le matin, à cinq heures, avec toute la division. Mais, décidément, on ne se met en route qu’après le déjeuner. Alors, comme j’avais à venir à la Place, j’ai voulu te serrer la main. Et je file ! Il y a de la besogne. Du Breuil tira les rideaux, ouvrit la fenêtre. Tous deux, accoudés, respirèrent.

— Le temps est frais et couvert, fit Lacoste, excellent pour la marche. Sais-tu au juste où nous allons ?

— À Boulay.

— D’ailleurs, ça m’est égal, pourvu qu’on marche. Quelle déception, pour ce Sarrebruck. Tu n’imagines pas la joie, le délire, à Paris. Nous sommes comme ça, tout feu de paille… Mais cette fois, ça va être le grand coup. Je ne vivais plus. Enfin, j’arrive à temps !

Ils descendirent ensemble. Lacoste accepta un verre de café chaud. Titan, d’un seul coup, avala au vol le petit pain que son maître lui jeta.

Une fine jument, tenue par l’ordonnance, s’ébrouait dans la rue.

— Bonjour, Musette ! dit Du Breuil en lui flattant l’encolure.

— Au revoir, mon cher, dit Lacoste, les yeux humides. Dieu sait quand.

Il s’enleva en selle. Musette, piaffant, partait au petit trot ; et devant elle, tout joyeux, Titan voltait, avec des bonds pesans. Du Breuil éprouvait un plaisir ému :

— Ce brave Lacoste !

Il aperçut alors M. Bersheim, qui paraissait radieux. Il tenait une lettre en main :