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Nelson. » Il est là, en effet, avec ses vaisseaux. Mais le peuple laissera-t-il partir son roi ? Les lazzaroni réclament des armes ; ils demandent que le roi se mette à leur tête. On crie à la trahison contre Mack ; on tue sous les yeux du roi un courrier autrichien. Ferdinand était inflexible devant la peur : il résista aux supplications de ses sujets. Marie-Caroline se réconfortait à l’exaltation de cette populace frénétique et sanguinaire dont les hurlemens annonçaient de beaux massacres de libéraux et de Français ; mais la prudence commandait la retraite. Le 21 décembre, le roi, la reine, avec leurs enfans, leurs trésors et le ménage Hamilton, s’embarquèrent sur le vaisseau amiral anglais ; ils arrivèrent, le 25, à Palerme après une traversée horrible, durant laquelle la reine vit mourir un de ses enfans dans ses bras. L’armée de Naples se mutina, se débanda, et, le IG janvier, Mack, fugitif, vint remettre son épée à Championnet.

On en avait fini avec l’armée royale ; mais une résistance infiniment plus redoutable se préparait dans Naples. Les habitans paisibles, les libéraux appelaient les Français, se disaient en mesure de leur livrer le château Saint-Elme ; mais il fallait se hâter si l’on ne voulait trouver la ville en anarchie, et la voir peut-être réduite en cendres[1].

Il y avait à Naples, plus qu’en aucun lieu d’Italie, des élémens de révolution républicaine, d’antiques traditions de liberté ; une aristocratie plus lettrée, plus émancipée, plus ambitieuse aussi : une bourgeoisie instruite, intelligente, avide de s’élever au pouvoir ; un goût des réformes, des « lumières », un esprit de changement jusque dans le haut clergé. Mais à côté de cette élite de Napolitains cultivés, généreux, humains, qui se réunissent dans les salons de quelques grandes dames enthousiastes des idées, amoureuses des idéalistes, il y a un autre Naples, la grande masse du peuple, qui oppose à la révolution, surtout à la conquête, une résistance acharnée. Ce sont les cent mille lazzaroni, tous les vagabonds, tous les bandits, toutes les furies des quartiers misérables : robustes, cruels, insoucians de la vie, sans besoins, sans appétits, mais l’imagination obsédée d’images de meurtre, sobres de vin, ivrognes de sang, tortionnaires d’instinct, passionnés pour les spectacles de supplices. Avec cela superstitieux, croyant au diable, impatiens du paradis comme d’autres de pillage,

  1. Mémoires de Thiébault, de Lahure. de Pepe, de Cresceri, de Macdonald ; Housselin de Saint-Albin, Championnet. — Hüffer, Die neapolilanische Republik.