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Ainsi apparaîtra aux yeux de tous le divorce absolu, définitif, entre les cours du blé et ceux du métal argent ; et ainsi serons-nous débarrassés, nous voulons l’espérer, de l’agitation bimétalliste. Peut-être aussi le bon sens public achèvera-t-il de comprendre l’exagération des plaintes de ceux qui vont se lamentant sur le bon marché croissant des objets et denrées de première nécessité. Où sont les discours de ceux qui nous annonçaient la ruine du pays, provoquée par le soi-disant abaissement du coût de toute chose ? où est la surproduction qui devait étouffer l’humanité sous un excès d’alimens, de logemens, de vêtemens, de moyens de transport ? Qu’une gelée tardive survienne, que des pluies se prolongent au-delà de la saison normale, que le vent souffle mal à propos sur les plaines déjà chargées de promesses ; et voici que les pères de famille se demandent comment ils nourriront leurs enfans. Quelle n’est donc pas l’erreur de ceux qui croient l’humanité parvenue à ce point de son évolution où elle serait assurée, en dépit des élémens, de subvenir aisément et largement aux besoins de tous ! Le moindre arrêt, la moindre complication survenue dans les rouages si multiples, si délicats, de l’agriculture, du commerce ou de l’industrie, éveille à juste titre les craintes des peuples et la sollicitude des gouvernemens. Que ceux-ci, plus éclairés que la masse, aient donc le courage de poursuivre la seule politique économique qui soit conforme à l’intérêt du plus grand nombre, celle qui a, depuis un demi-siècle, fait la gloire des hommes d’État anglais de tous les partis, et qui consiste à s’efforcer de réduire au minimum le coût de la vie, de mettre à la disposition des travailleurs les objets de première nécessité au plus bas prix possible. Des réveils comme ceux de 1891, de 1897, devraient ouvrir les yeux les plus obstinément fermés. Nous ne demandons aucune révolution, aucun changement brutal ; nous respectons plus que personne les droits acquis, le fussent-ils au prix du sacrifice de principes que nous considérons comme immuables ; mais nous adjurons nos hommes politiques de s’élever par un effort constant à la conception des intérêts supérieurs du pays et d’orienter leur conduite d’après cette conception, d’y rapporter leurs actes, et d’y conformer leurs votes.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.