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vient d’en arriver. Aussitôt Osman-Pacha a donné l’ordre de dételer la locomotive du train spécial qui devait le conduire à Karaferia. Il va rester à Salonique quelques jours, puis repartira discrètement pour Constantinople. Voilà Edhem-Pacha sauvé, si tant est qu’Abdul-Hamid ait voulu le remplacer, ce qu’on ne saura jamais.


29 avril. — Cinq jours, cinq longs et interminables jours, j’ai marqué le pas à Salonique. Il me fallait une autorisation, un iradé du sultan pour rejoindre l’armée turque, et cet iradé n’arrivait pas. Ce délai m’a permis d’abord de constater que la ville n’était décidément pas bombardée. Au fond, il est inconcevable que les Grecs n’aient pas tenté cette opération qui, malgré le nécessaire optimisme officiel, est des plus faciles. Ensuite je suis rentré avec un certain plaisir en possession de mon revolver, toujours par l’intervention de l’indispensable consul. Mais l’administration ottomane ne le cède, croyez-le bien, à aucune autre administration des pays les plus civilisés. J’ai vu un nombre incalculable de fonctionnaires charmans, qui m’ont offert des kilogrammes de cigarettes et des océans de café noir. Un employé des douanes me suivait comme une ombre, me servant d’interprète, et calmant mes nerfs surexcités. A la fin, nous sommes tombés sur le vrai, le seul bureau, celui où l’on restituait. Mais là nouvel embarras. On m’a confisqué cinquante cartouches, et on n’en retrouve que quarante-neuf ! Désespoir du bureau tout entier, qui paraît croire que sa réputation d’intégrité est compromise, ou plutôt, je pense, que la forme est outragée sans remède. J’ai beau protester que je suis parfaitement satisfait, on commence à remplir de petits et de grands papiers d’une foule de jolis caractères écrits de droite à gauche. A la fin je triche, je m’arrange pour faire compter deux fois la même cartouche ; tout le monde respire, et on me remet mon bien. En passant, dans un couloir discret, j’essaye de donner une preuve matérielle de ma reconnaissance au petit employé des douanes qui a perdu une demi-journée dans ma compagnie : il écarte poliment ma main. Décidément, ou le bakchich est un vain mot, ou bien il y a, pour l’offrir, des rites que j’ignore.

Tous les bonheurs arrivent ensemble : en rentrant chez moi, je trouve mon iradé ; un télégramme de Constantinople m’autorise à partir. Aussitôt gouverneur militaire, gouverneur civil,