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LE DÉSASTRE.

— Nous gardons les œufs pour nos blessés, dit la grand’mère.

Du Breuil s’enquit des subsistances ? Bersheim, ami de M. Bouchotte, le fermier des moulins de la ville, était très renseigné :

— L’autorité fait insérer dans les journaux de Metz que nous avons 60 jours de vivres seulement. Est-ce pour avertir l’ennemi ?… Oui, soixante jours seulement, cela vous étonne ? Mais connaissez-vous exactement le nombre des rationnaires ? En comprenant l’armée active, garnison, hôpitaux, population civile, blessés chez l’habitant, on a 258 000 bouches à nourrir… L’immigration des villages voisins a porté à 70 000 bouches la population de Metz, qui n’était que de 50 000… Certainement, les greniers et les granges des environs regorgent, car la récolte a été excellente cette année ! Mais qui en profite, sinon les Prussiens ? Du haut du fort de Plappeville, me disait un officier du génie, — M. Barrus, vous le connaissez ? — on voit les Allemands vider les fermes et les villages de la vallée de Thionville ; les uhlans, pistolet au poing, dirigent les convois de paysans et les forcent à marcher. Des blés, du seigle, de l’orge, de l’avoine, de la paille, des fourrages, ah ! parbleu ! il n’y a qu’à aller les prendre. Mais qui y songe ? Ce ne sont pas les transports qui manquent : nous avons plus de 3 000 voitures auxiliaires ! Quand je pense à la récolte de ma ferme de Noisseville, à cette heure pillée ou brûlée par les Prussiens, j’enrage !… Bien plus ! Figurez-vous qu’il y avait entre Hermy et Courcelles, sur la voie ferrée, 2 000 wagons de vivres ennemis, et de grands approvisionnemens aux stations de Courcelles, Rémilly et Hermy. Avec 4 machines, un nombre suffisant de wagons, il était facile de tout ramener à Metz. Hein ? c’eût été un bon coup à faire !… car, du 18 au 25, il n’y avait presque plus d’Allemands sur la rive droite… Le maréchal n’a pas consenti.

— Mon Dieu, fit Dumaine, j’admets qu’il ne puisse avoir la tête à tout. Mais Coffinières ! Son devoir est de constituer un comité de surveillance des approvisionnemens… Ah bien, oui ! Quand le général de Laveaucoupet l’a sondé à ce sujet, il lui a répondu qu’il « savait ce qu’il avait à faire. » Gustave, pour paraître informé de la question militaire, dit :

— Le gouverneur de Metz n’a pas davantage constitué le comité de défense, ordonné par le règlement sur la défense des places. Mais peut-être attend-il les ordres du maréchal ? Après un hachis au four, Lisbeth servait des lentilles, — dé-