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LE DÉSASTRE.

vard, Mme  d’Avilar avec son masque d’intrigante, l’altière comtesse de Limal, la jaune Mme  de Vernelay : courtisans ! courtisans !… que pensaient-ils, disaient-ils, faisaient-ils à présent ? Un gouvernement nouveau… Tout ce qui sombrait avec l’ancien ! Les aigles, les victoires des deux Empires, les fêtes de la paix et de la guerre, les salves solennelles du 15 août, et pour lendemains : Waterloo, Sedan ! Ah ! l’expiation méritée, mais si amère et si cuisante ! En châtiment de leur imprudence, de leur légèreté, de leur faiblesse, comme on allait leur jeter de la boue, aux souverains déchus, comme on allait leur faire payer leurs jours de triomphe et d’éclat !…

Sans s’en apercevoir, il était entré chez les Bersheim. L’ambulance, les visages qui lui sont déjà familiers, le bon vieux capitaine à barbe blanche, le nègre cymbalier qui rit d’un enfantin rire clair, à dents blanches. Un lit vide, celui du petit soldat qui se plaignait de n’avoir de goût à rien ; on l’a enlevé, cousu dans un sac : au tombereau ! Où donc sont les Bersheim ? Il pousse la porte de d’Avol. Il y a là des officiers en visite, Carrouge, impétueux, pareil à un piment sec avec sa face empourprée. Il accable de son ironie « le petit monsieur Trochu », Gambetta qu’il appelle « grand bêta » ! Plus d’empire, — plus de Garde impériale et plus de Carrouge !

— Je ne sers pas la gueuse ! moi ! dit-il en se frappant la poitrine, où sa croix, ses médailles se choquent.

Le comte de Cussac sourit dédaigneusement :

— Nous allons rire, messieurs. J’attends les Parisiens sur les remparts. Dans quinze jours, la paix sera faite.

Le capitaine de Serres, de la batterie de d’Avol, approuve, en se redressant dans son dolman, qu’il pince à deux doigts, comme un corset. À peine si d’Avol a tourné la tête vers Du Breuil, mâchonné un : « Bonjour, Pierre ! » Il est couché. Cela ne lui a pas réussi de se lever trop tôt. Sohier avait raison.

— Au diable la politique ! crie-t-il avec colère. Nous sommes des soldats, nous sommes bloqués à Metz, notre devoir est d’en sortir ! Je ne connais que cela ! Et si on avait du cœur, on forcerait Bazaine à trouer !

— Oh ! oh ! firent des voix… On ne force pas comme ça un maréchal de France.

— Non, dit d’Avol dans un grand silence, mais on le remplace, quand il ne veut pas se battre. Il y a des maréchaux plus anciens !