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grands trulli sont épars au milieu des cultures ou groupés en villages. Il y a même une ville, Alberobello, dont une moitié est bâtie en maisons ordinaires, et l’autre tout entière en trulli ; rien ne peut donner l’idée de cette agglomération de huttes en pierres, qui, en pleine Italie, évoquent l’image des vieilles villes persanes. Les mystérieux édicules parsèment des plaines livrées aux commis voyageurs, et parcourues par les chemins de fer ; ils abritent des paysans qui depuis longtemps ont répudié leurs costumes traditionnels ; les trulli se soulèvent de terre, comme des revenans d’un âge oublié, aux portes de Bari, une capitale future, qui dans dix ans aura peut-être cent mille âmes.

Mais il ne suffit pas de noter en touriste sur le paysage quelques taches pittoresques, coiffures ou coupoles. Sans doute, ces détails ont leur valeur comme documens de la vie populaire ; sans doute les choses peuvent aider à juger les hommes qui les mêlent à leur vie, et il faut savoir étudier les formes comme des faits. Pourtant ce serait peu d’avoir regardé du dehors ces populations singulières et malheureuses du midi de l’Italie, et, puisqu’on sent un drame de misère dans la plupart de ces existences, il y aurait un dilettantisme presque cruel à n’en observer que le décor. Il faudrait encore, s’il se peut, sonder les croyances de ces paysans, résumer leurs connaissances, et suivre de près leur vie.

On l’a déjà dit avec autorité : le christianisme de l’Italie méridionale reste saturé de paganisme. La multitude des superstitions et la naïveté de l’idolâtrie populaire ont scandalisé si fort un pasteur allemand qui a vécu longtemps dans l’ancien royaume de Naples, que l’excellent homme en a écrit quatre volumes. Je me borne à indiquer la curieuse compilation de M. Trede[1]. Je ne copierai pas davantage la statistique des illettrés ; mais je puis témoigner que, parmi les paysans les plus dégrossis de l’Italie méridionale, beaucoup vivent dans l’ignorance complète des conditions de la vie moderne et des faits de l’histoire contemporaine. Ils ne savent guère ce qu’est l’Italie, ni ce qu’est l’Europe. Il y a deux ans, à Monte-Sant’Angelo, je fus abordé par un homme dans la force de l’âge, une des têtes du pays, qui se mit à me conter les gloires de saint Michel. Celui-là savait lire et il relisait sans cesse des brochures de propagande pleines de légendes et de dévotion. Sa parole était nette et sonore, son accent parfois épique, ses

  1. Das Heidenthum in der römischen Kirche. Gotha, 1889-1891.