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poches des cailloux qu’ils avaient ramassés sur la route et qu’ils avaient bénis en les portant sur eux ; ils les donnèrent aux enfans, et ils s’éloignèrent dans l’ombre en reprenant leur chant toujours le même.

Le 8 mai est la fête de saint Michel du Gargano et celle aussi de saint Nicolas de Bari. Il faut donc choisir, et l’on ne peut voir qu’un seul des deux sanctuaires dans la pompe des processions et des luminaires. La foule la plus compacte se porte vers Bari. La ville nouvelle, avec ses boulevards bordés de hautes maisons et ses boutiques miroitantes de faux luxe allemand, reste froide jusqu’au matin de la fête officielle ; mais dès les premiers jours de mai, la vieille ville, qui enserre de ses ruelles tortueuses la spacieuse enceinte de la basilique fortifiée par les rois angevins, bouillonne et déborde. Les nomades ont envahi l’église ; ils se sont établis dans les bas-côtés et les chapelles ; ils y campent, y dorment, y mangent. D’autres arrivent sans cesse, au milieu d’une clameur stridente et d’une puanteur suffocante. L’entrée de chaque bande est marquée par des scènes d’une sauvagerie incroyable ; la présence du but longtemps désiré exalte la dévotion de ces barbares jusqu’au martyre, et chacun veut se préparer à la vision de l’idole par un supplice repoussant. Non contens de se traîner sur leurs genoux déchiquetés, ils se font tirer par les bras comme des cadavres, la face contre terre, la langue dans la boue du pavé, où ils laissent une trace tout engluée de sang. Ils descendent ainsi jusqu’au sol de la crypte, la tête battant les marches, et quand ils se relèvent en titubant, ils voient au-dessus de la foule sombre, entre les piliers noircis, la voûte revêtue d’argent, toute ruisselante de lumières, et le massif autel d’argent, où le corps de saint Nicolas distille dans l’ombre une manne miraculeuse. Cet autel, vénéré par les Slaves comme par les Latins, a reçu l’abjuration de la princesse qui sera un jour la reine d’Italie, et devant cette relique est venu prier, lors d’un pèlerinage qu’il fit à Bari en 1892, le tsarewitch qui est aujourd’hui l’empereur Nicolas II.

Le soir du 7 mai, la statue de l’évêque de Myre, vêtue de tous les ornemens pontificaux, est portée aux flambeaux vers le reposoir élevé sur la place du Lion, une vaste esplanade où les Vénitiens ont dressé, au XVe siècle, un lion de pierre comme symbole de leur domination. La statue passe la nuit sur l’autel illuminé, et tout autour, couvrant la place, l’armée des pèlerins veille en chantant. Ils sont assis sur la terre par familles, par villages, par