Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 143.djvu/85

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Enfin, de saison en saison, se succèdent, autour de M. de Bodelschwingh, des candidats en théologie qui viennent apprendre à bonne école l’art de faire le bien : se promenant à travers la cité de l’épilepsie, on les voit échanger un salut cordial avec toutes les pauvres créatures, rabougries ou défigurées, auprès desquelles ils passent ; ils ont pour cette grande famille d’épileptiques, si inférieure leur soit-elle, les prévenances du Christ pour la grande famille humaine, et considèrent à juste titre comme des bienfaiteurs ceux qui leur sont une occasion perpétuelle de faire le bien.

Lorsqu’un cœur se laisse éveiller au spectacle d’une misère, il est comme voué à l’insomnie par l’évocation de toutes les autres, qu’il ne connaît point, mais qu’il suppose ; on ne gouverne point ses larmes ni l’activité qu’elles inspirent ; et par une transition dont il ne faut point chercher une explication logique, M. le pasteur de Bodelschwingh, secondé dans cette tâche nouvelle par l’expérience de M. Charles de Massow, s’est voulu rendre maître du vagabondage comme de l’épilepsie. Il a conçu, et partiellement réalisé, à travers tout le territoire allemand, un réseau d’environ 2 000 stations alimentaires (Verpflegungsstationen) et de 27 colonies agricoles : celles-là pour une demi-journée, celles-ci pour plusieurs semaines, accueillent le vagabond, le logent, le nourrissent, mettent un travail à sa disposition, et lui donnent ainsi l’occasion de faire valoir son droit à la vie. Qu’avec une négligence de marâtre la société méconnaisse ce droit ; aussitôt l’être humain, tombant à l’état d’épave, se demande pourquoi il vit. En aspirant vers une organisation sociale dans laquelle aucun être humain ne regretterait d’avoir été appelé à l’existence, M. de Bodelschwingh se considère comme le ratificateur de la volonté créatrice, comme l’exécuteur testamentaire de Jésus. C’est un rôle que volontiers il partagerait avec l’État : il convie les pouvoirs publics à l’aider par l’action des lois et à faire pénétrer leur intervention tutélaire dans la vie du chômeur et dans celle du travailleur ; et tandis que beaucoup d’hommes d’œuvres, modèles et docteurs d’initiative privée, sont facilement animés de jalousie à l’égard de l’État, M. le pasteur de Bodelschwingh a ce double mérite d’avoir mesuré, tout ensemble, ce que peut l’initiative privée et ce qu’elle ne peut pas.

Si les desseins de M. le pasteur de Bodelschwingh en faveur des vagabonds rencontraient un plein succès, on pourrait assister