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petits propriétaires développe la prolificité, il est certain qu’aujourd’hui il la restreint. Cependant Malthus n’avait pas tort au moment où il écrivait et pour une période postérieure assez longue. A un certain degré de l’évolution agricole et sociale, alors que l’ambition des parens pour leurs enfans ne s’était pas développée et que l’école n’exerçait pas dans les campagnes son influence émancipatrice, le petit et le moyen propriétaire trouvaient dans le grand nombre d’enfans des ouvriers gratuits, rémunérateurs pour la famille dès l’âge de cinq à six ans et le restant parfois bien au-delà de leur majorité par la vie en commun. Aujourd’hui les conditions d’existence du petit et du moyen propriétaire rural sont changées : l’école lui prend ses enfans jusqu’à 13 ou 14 ans ; elle exalte leur imagination et leurs espérances ; à peine ont-ils eu le temps, de 13 ou 14 à 20 ans, de se familiariser avec la vie des champs et de rapporter quelque chose à l’organisation familiale que la caserne les saisit, leur donne le goût de l’indépendance et que le père de famille ne peut plus compter, même après le jour de leur libération, sur leur concours gratuit ou même sur leur coopération docile. Ainsi la petite ou la moyenne propriété qui pouvait, au temps de Malthus, susciter la prolificité est l’un des plus énergiques facteurs qui aujourd’hui la restreignent. L’ambition, d’origine assez récente, des parens pour leurs enfans, se joint à l’intérêt matériel lésé pour faire considérer aux paysans la multiplicité, parfois la simple pluralité d’enfans, comme un embarras et comme un mal. Les règles du code civil sur l’égalité des partages et la division des héritages, quoiqu’on ait parfois exagéré leur action, y contribuent également.

Ce n’est pas seulement dans les campagnes, c’est depuis quelques années dans la population ouvrière des manufactures, plus encore parmi les artisans, dans la petite et la moyenne bourgeoisie, beaucoup plus que dans la grande, que le grand nombre des enfans est appréhendé comme une cause de gêne, de souci et parfois de déclin. La réduction de la natalité ne serait pas toutefois si générale en France, si aux influences économiques ne se joignait un facteur moral d’une très grande intensité d’action. Ce facteur, nous l’avons cherché depuis longtemps. Nous écrivions, en 1887, dans un livre élémentaire où il ne nous était pas possible de donner de l’extension à l’expression de notre pensée et de l’entourer de preuves : « L’exemple de la France, de