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à en faire disparaître un nombre considérable, moyennant des ruses qui rappellent les parens du Petit Poucet menant perdre leurs enfans dans les bois. Il les mettait dans des feuilles inconnues, sous des signatures quelconques, et se frottait les mains à l’idée que personne n’irait jamais les y déterrer. Ce qui est arrivé en effet. L’ogre les a mangés, autrement dit l’oubli. Devant ce jeu de cache-cache perpétuel, on se demande pourquoi cet homme écrivait ?

Les articles signés de son nom, ou qu’on sait être de lui, sont tantôt de la critique et tantôt de la fantaisie. La critique de Gérard de Nerval, sauf les cas où l’amitié porte la parole, est tou-jours de la partie raisonnable de son esprit, et il se montre alors bien peu romantique dans ses admirations et ses préférences. Voltaire dramaturge lui paraît un grand méconnu : « Nous ne sommes pas, écrivait-il, de ceux qui font peu de cas du talent dramatique de Voltaire, Voltaire, avec un génie incontestable, a été une des victimes de la convention et du parti pris littéraire[1]. » Il n’allait pas jusqu’à trouver du génie à Scribe ; mais il écrivait, à propos de la pénurie d’auteurs comiques : « Bertrand et Raton et peut-être la Camaraderie, sont encore ce que nous avons de mieux depuis Beaumarchais[2], » Il parlait sans respect du drame romantique et en sonnait déjà le glas il y a plus d’un demi-siècle. Latour de Saint-Ybars venait de donner sa Virginie à la Comédie-Française, Gérard de Nerval fut de l’avis du public, qui avait trouvé la pièce mauvaise ; mais il n’en dissimula point son regret : « Nous voudrions de tout notre cœur, disait-il, admirer ce qu’on nous présente comme une restauration de la tragédie après les saturnales du drame, et nous admettons volontiers qu’on soit aujourd’hui fatigué du moyen âge et de l’histoire moderne, comme on l’était il y a quinze ans des Grecs et des Romains[3]. »

Les articles de fantaisie sont très supérieurs aux articles de critique. Quelques-uns[4] sont exquis, et ont pu être rapprochés des Rêveries du Promeneur solitaire sans être trop écrasés sous la

  1. L’Artiste, 13 juillet 1845.
  2. La Presse, 10 août 1845. Gérard de Nerval faisait le feuilleton dramatique à la Presse pendant les absences du titulaire, Théophile Gautier.
  3. La Presse, 13 avril 1845.
  4. Les Nuits d’octobre, Promenades et Souvenirs. Ce sont des souvenirs personnels. Les Petits Châteaux de Bohême, Mes Prisons et Angélique sont également des réminiscences. Octavie ou l’Illusion est un souvenir de voyage.