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binet, sans contact avec les hommes, et qui résolvaient les problèmes politiques ou sociaux d’après leur système particulier sur les relations du moi avec le non-moi. C’est une espèce disparue ; autant rechercher sur les bords de la Sprée les animaux antédiluviens de Cuvier ; mais il en restait encore des spécimens il y a trente ou quarante ans, et il saute aux yeux de quiconque a eu l’occasion d’en observer que ces gens-là étaient faits pour s’entendre avec Gérard de Nerval sur les questions pratiques. Nous devons admirer ce dernier d’avoir permis, pour l’amour de la vraisemblance, qu’il arrivât des malheurs à un héros aussi parfaitement selon son cœur que Léo Burckart. Il n’en fut pas récompensé. Les Parisiens bayèrent aux déboires de cette vieille corneille germanique qui abat des noix creuses cinq actes durant, et il était grand temps, pour Harel et sa caisse, que l’éléphant arrivât : « Au bout de trente soirées d’été, dit Gérard de Nerval avec sa mansuétude accoutumée, je vis avec intérêt cet animal succéder aux représentations du drame. »

Le reste de son théâtre ne vaut pas qu’on en parle[1], et ses grands romans méritent encore moins que ses pièces de nous retenir. Il les perdait aussi, ou il ne les finissait point, et ce n’est certes pas pour sa plus grande gloire que deux de ces ébauches ont été ramassées et utilisées après sa mort. Le Marquis de Fayolle[2] par Ed. Gorges, qui en usa librement avec le texte et prodigua les banalités sur un canevas naturellement incolore : Le Prince des Sols[3] par Louis Ulbach, qui avait acheté je ne sais où, à je ne sais qui, à cause des corrections dont il avait reconnu l’écriture, un vieux cahier d’une autre main et avant toute la mine de sortir de la hotte d’un chiffonnier, et qui l’imprima par « ambition de servir la renommée littéraire de Gérard. » Il en fut pour ses bonnes intentions.

Gérard de Nerval avait une certaine peine à perdre les articles de journaux écrits dans une salle de rédaction, sous l’œil du directeur et du metteur en page. On croit cependant qu’il a réussi

  1. Deux opéras-comiques : Piquillo (1837) et les Monténégrins (1849), ce dernier en collaboration avec Alboize : quelques traductions ou adaptations : Misanthropie et Repentir, de Kotzebue ; le Chariot d’enfant, drame indien du roi Soudraka en collaboration avec Méry) ; Jodelet ou l’Héritier ridicule, d’après Scarron. etc.
  2. — 1856, Michel Lévy. J’ai sous les yeux un exemplaire appartenant à M. de Spœlberg et corrigé d’après le texte original et incomplet publié en 1849 par le journal le Temps. Les différences sont considérables.
  3. — 1888, Calmann-Lévy.