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elle est légère ; elle n’est qu’agréaient et douceur, comme l’amour.

C’est encore un chef-d’œuvre idéaliste que Don Juan ; Don Juan, qui ne semble jamais si beau qu’à la lecture ou au concert, Don Juan, que la représentation et la figuration matérielle gâtera toujours, parce qu’il n’est qu’esprit. Ecoutez : Doña Elvire ouvre sa fenêtre : « Ah ! taci, ingiusto core ! Tais-toi, mon injuste cœur ! » On lit, au lieu de ces mots, dans l’une des versions françaises : Nuit fraîche, nuit sereine, et ce texte non plus ne messied pas. Le sens de la musique est si large, elle répand une mélancolie si vaste et si profonde que tout y est compris et comme enveloppé, que tout chante et soupire à la fois dans la mélodie enchanteresse : l’âme plaintive de l’épouse et les souffles compatissans de la nuit. Tout à l’heure, et sous ce balcon, à qui don Juan va-t-il chanter la sérénade ? Peut-être croira-t-il lui-même ne la chanter qu’à la camériste ; mais puisqu’elle est immortelle, cette sérénade, puisque « tout en est vrai, » comme dit le poète qui l’a le mieux comprise, « et qu’on trompe et qu’on aime, » et « qu’on pleure en riant, » et « qu’on est innocent et coupable à la fois ; » puisqu’elle veut dire tout cela, la petite chanson, c’est donc qu’elle ne vient pas de celui-là seul qui la chante, c’est aussi qu’elle va plus loin et plus haut que celle qui l’écoute, c’est que quelque chose de supérieur est en elle, quelque chose de l’universel et de l’idéal amour.

Il n’est pas jusqu’à la mort du Commandeur où ne s’affirme l’idéalisme de Mozart. La musique ici ne prend nul souci de nous dire quel était ce vivant et quel est ce cadavre. Elle a seulement noté quelques plaintes, elle a suivi de soupir en soupir l’évanouissement, l’anéantissement de l’être. Un chant de haut-bois a perlé, mince comme un filet de sang qui s’écoule, faible comme un dernier souffle qui s’exhale. Nous voici devant ce qu’on pourrait appeler l’idéal de la mort ; par là je n’entends pas la mort embellie et dépouillée de son horreur, mais la mort en quelque sorte simplifiée et abstraite, réduite à ce qu’elle a de plus général et d’essentiel, à ce qui ne dépend en elle ni des circonstances qui l’accompagnent ni de la qualité de celui qu’elle a frappé.

C’est un sublime idéaliste que Beethoven, et de tous les grands musiciens pas un n’est plus grand moralement que lui. Son art est pur de toute sensualité, libre de toute attache et de tout attrait matériel. On ne goûte même pas, en écoutant Beethoven,