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Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/432

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REVUE DES DEUX MONDES.

Alors ils s’étreignirent, et quand ils se furent embrassés, ils s’embrassèrent encore :

— Bon courage ! se répétaient-ils en souriant, mais des larmes coulaient sur leurs joues.

— Ici, Du Breuil, criait Charlys.

Il monta dans le compartiment. Francastel et Floppe s’y trouvaient, et le gros colonel Jacquemère qui s’épongeait, ayant couru. Du Breuil, durant la demi-heure d’immobilité qui suivit, ne démêla que le visage inquiet de Frisch qui le cherchait : Cydalise était casée. Védel sur le quai souriait toujours. Charlys parlait comme dans un accès de fièvre, Jacquemère vérifiait son portemanteau, et Du Breuil se sentait plein d’une ivresse sombre et lumineuse. Une courte hallucination lui montra, dans la nuit, sur un pavé noir et mouillé, le reflet dansant des réverbères. Place de la Concorde, un soir, au retour des Italiens, — le coupé de Mme de Guïonic roule, et les lueurs jaunes s’allongent sur le macadam luisant. Changement de décor, les parquets clairs où se mirent les flammes des girandoles, le soir de la réception à Saint-Cloud : Jousset-Gournal béat, M. Chartrain inquiet, — Eh bien, il reverra son fils, sil ne meurt pas dans une casemate ! — Mme d’Avilar, Mme Langlade, — ah ! le petit lieutenant gisant, poches retournées, sur le champ de bataille de Rezonville, avec le doigt de la bague scié… Le gros Manhers, le publiciste Favergues, l’amiral La Véronnech, l’arrogant comte Duclos, tous, conseillers et soutiens de l’Empire sont là, groupés, bourdonnans, mis en émoi par la déclaration du duc de Gramont… Où sont-ils à présent ?… La tourmente a passé. Ils soupirent sans doute : — Je l’avais bien prédit ! et beaucoup de renier le régime auquel ils devaient tout… Que pensent au fond de leur château de la Creuse, retirés loin du monde, les vieux Du Breuil ?… Et Thédenat, dans sa petite salle à manger où battent les ailes des canaris en cage, médite-t-il sur ses prophéties réalisées, tandis que Mme Thédenat tire l’aiguille, prêtant l’oreille aux détonations des canons du siège ?

— On part, dit Francastel avec un ouf ! de soulagement.

Le train s’ébranlait, et, dans une silencieuse angoisse, généraux et officiers de l’armée du Rhin quittaient cette ville où ils étaient arrivés si confians. Charlys et Du Breuil se regardèrent :

— Nous encore, nous parlons ! dit Charlys.

Oui, songea Du Breuil, il fallait plaindre ceux qui restaient