en arrière, ceux à qui incombait le soin de tout recenser, de tout inventorier ; ils savoureraient vraiment le fond de la lie. Floppe racontait l’arrestation de M. Mayer, directeur de l’Indépendant de la Moselle, faite dans la gare par un officier prussien. Le dernier ordre signé par Bazaine avait voulu châtier le publiciste qui, bravant mercuriales et censures, avait eu, le jour même de la capitulation de Metz, le courage de rappeler en première page l’article 209 du Code de justice militaire : « Peine de mort, avec dégradation militaire, pour tout gouverneur ou commandant qui rend la place qui lui a été confiée. » Et l’article 210 : « Peine de mort, avec dégradation militaire, pour tout commandant en chef qui capitule en rase campagne, avant de faire tout ce que prescrivent le devoir et l’honneur. »
Laune regardait obstinément à la portière, bouche close, raidi dans la dignité du silence. On traversait les ateliers de la gare, on longeait la route de Nancy dont les arbres rasés laissaient voir les prairies qui descendent jusqu’à la Moselle. Cette route avait été pour le négociateur de la capitulation et ses officiers la voie douloureuse. À gauche, s’élevaient les collines de Montigny, d’où, le 15 août, étaient partis l’insulte, l’obus qui, tombant à côté du quartier impérial, avait hâté la fuite de l’Empereur.
Le train ralentit, des têtes se penchèrent, on s’arrêtait.
— Qu’y a-t-il ? demanda Francastel.
Laune ne répondait pas. Jacquemère dit enfin :
— Nos soldats !
Une longue colonne de prisonniers, à quelque distance de la route, passait, têtes basses, dos voûtés, flanquée sur les côtés de soldats garde-chiourme. Bien des visages pâles, dans le troupeau, s’étaient tournés vers le train. Et ces vieux généraux qui avaient bravé la mort des champs de bataille, entendu sans broncher les cris affreux des ambulances, pâlirent et baissèrent les yeux. Plus d’un peut-être, qui s’était isolé dans la sécheresse de son rang, eut des remords et sentit amèrement son impuissance. Le mot qui réconforte, le regard qui console, il était trop tard pour les employer. Tous sentaient ce qu’ils devaient de gratitude à ces hommes qui, jusqu’au dernier jour, leur avaient fait honneur, et le feu au visage, d’un élan de cœur qui les jetait aux portières, ils saluèrent les admirables compagnons de leur infortune, les héros obscurs de Rezonville et de Saint-Privat.