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de vie et de santé. Les deux sœurs habitent ensemble une villa aux environs de Gènes ; elles s’aiment tendrement ; et Emilia emploie toutes ses forces à soigner Roberta, s’obstinant à espérer pour elle une guérison dont personne, d’ailleurs, n’ose lui avouer l’impossibilité. Mais un soir, la malade ayant eu des crachemens de sang, on amène près d’elle un nouveau médecin, un homme jeune et beau, qui ne tarde pas à s’emparer du cœur d’Émilia. Désormais ce n’est plus que par devoir, presque à regret, que la belle veuve continuera de se sacrifier à sa sœur : de telle sorte que celle-ci, se sentant enfin devenue à charge, et apprenant en outre que ses jours sont comptés, s’enfuira devant elle, au hasard des routes, avec le vain rêve de connaître, elle aussi, fût-ce pour en mourir, les joies de l’amour et de la liberté.

Telle est la trame de ce petit roman, dont le sujet ne manque pas d’une certaine vérité tragique. M, Zuccoli a voulu, évidemment, nous montrer quelle part d’inexorable et amére fatalité entre jusque dans nos sentimens les plus intimes, pour les modifier à sa fantaisie. Il n’y a pas d’affection si solide, qu’elle soit sûre de résister à toutes les circonstances ; et Émilia elle-même ne peut s’empêcher d’oublier son ancienne tendresse pour sa sœur Roberta, le jour où celle-ci lui apparaît comme un obstacle, sur le chemin d’un bonheur nouveau qu’elle aperçoit devant elle. Mais une conception aussi simple d’un tel sujet n’était point faite pour suffire à l’ambition de M. Zuccoli. Imprégné comme il l’était des poèmes de M. d’Annunzio, et davantage encore, peut-être, des manuels de vulgarisation scientifique en vogue dans son pays, il a prétendu revêtir ses personnages d’une signification supérieure.

Emilia est devenue pour lui le symbole de l’Espèce, cette fameuse « Espèce » dont M. Butti, déjà, nous avait tant parlé. Dans Roberta, il a incarné la dégénérescence ; et du conflit qui se produisait dans l’âme des deux sœurs il a prétendu faire une façon de microcosme de la lutte pour la vie. Mais le pire malheur est que, pour accentuer ce caractère symbolique de ses personnages, il a cru devoir leur prêter, pour ainsi dire, des sentimens « scientifiques », ce qui par instans les rend ridicules, et d’autres fois tout à fait déplaisans. Quelques citations, d’ailleurs, permettront d’en juger.

Voici d’abord, au début du livre, Émilia qui se désole d’un nouveau crachement de sang survenu chez sa sœur. « Et, par un raffinement satanique de son imagination, une foule d’épisodes rians se présentèrent à son esprit, allant à l’encontre de son désespoir. Puis, par une association d’idées malencontreuse, elle se rappela des pages qu’elle