Page:Revue des Deux Mondes - 1897 - tome 144.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Oubliez-vous que les rois ne doivent pas donner des institutions, mais que les institutions seules doivent donner des rois ? Un roi libre ! Connaissez-vous un roi qui mérite d’être libre dans le sens implicite du mot ? Peut-il, doit-il même l’être jamais ? Il n’y a de vraiment libre qu’un despote ou un usurpateur, fléaux du monde, comètes effrayantes qui brillent et s’éteignent dans le sang. Pensez-vous que je serais le ministre de George IV s’il avait été libre de choisir ? Pensez-vous qu’il eût oublié que je me suis constamment soustrait aux orgies de sa jeunesse, que j’ai sans cesse combattu ses penchans et ses favoris ? » Après des entraînemens de langage qu’il devait regretter plus tard, devant le mécontentement légitime qu’en éprouva son souverain, M. Canning, rentrant en quelque sorte et lui-même et revenant à la grande question du moment, ajouta d’un ton familier et amical : « Vous allez entrer en Espagne. Vous croyez, dit-il, à M. de Marcellus, vous jeune homme, que cette guerre sera courte. Je pense tout autrement, moi qui touche à la vieillesse. En 1793, M. Pitt annonçait que certaine guerre déclarée à un grand peuple alors en révolution serait courte, et cette guerre a survécu à M. Pitt. »

M. Canning se trompait, comme le prince de Talleyrand lui-même devait se tromper quelques jours après à la Chambre des pairs, en confondant le principe des deux expéditions : celle de 1808, dominée par des vues de conquête contre l’Espagne elle-même et qui devait soulever contre elle l’unanimité de la nation ; celle de 1823, tendant, au contraire, à rendre à l’autorité royale l’indépendance, dont un parti minime, mais audacieux, avait cherché à la dépouiller. Les faits devaient se charger de démentir leurs sinistres prévisions.

Quoi qu’il en soit, ces curieuses déclarations que nous rapporte M. de Viel-Castel dans le douzième volume de son Histoire et qui trouvèrent un écho correspondant à leur vivacité dans les discussions de l’adresse au sein du Parlement anglais, irritèrent le parti royaliste dans nos deux Chambres, sans parvenir à l’intimider. L’adresse et les crédits furent votés à une majorité considérable, comme nous l’avons vu. Chateaubriand fut embarrassé sans doute de l’opposition du gouvernement anglais. Il disait un soir, chez la duchesse de Duras, au comte Pozzo di Borgo, en frappant sur son habit dans la poche duquel se trouvaient les dépêches de M. Canning : « J’ai là Canning qui me gêne. » Confortare et esto robustus », lui répondit l’ambassadeur de