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la Restauration ? Après avoir lu et étudié, consciencieusement et sans parti pris, ce qui a été dit et écrit sur cette époque, je n’hésite pas à penser que le gouvernement du roi Louis XVIII ne pouvait pas adopter une autre politique que celle qu’il a suivie. Il devait à tout prix empêcher, ce qui aurait été inévitable à la longue, que la tête d’un Bourbon tombât sur un échafaud espagnol et que la solidarité révolutionnaire ne s’établît entre les deux peuples voisins. C’était un danger immense pour la royauté restaurée, et comme elle était le gouvernement reconnu et accepté par la France, elle avait, comme tous les gouvernemens, le droit et le devoir de songer à sa préservation.

D’ailleurs, les faits sont là pour le prouver. Le succès de la guerre d’Espagne nous rendit une armée en en fusionnant les élémens désagrégés. L’étranger le comprit aussitôt et les lettres adressées par tous les souverains et les ministres à Chateaubriand le démontrent. L’empereur Alexandre prit la tête, comme c’était naturel, en lui envoyant, ainsi qu’à M. de Montmorency, le cordon de Saint-André. Tous les autres souverains suivirent l’exemple de l’Empereur, et la France retrouva bien vite une considération et une influence qu’elle n’avait plus connues depuis 1815.

« Évidemment, nous dit M. de Viel-Castel, dont le témoignage n’est pas suspect, puisque, appartenant au parti libéral, il était hostile au principe de l’expédition, la position de la France avait grandi, depuis qu’au dehors on avait acquis la conviction qu’elle possédait une armée à l’abri des entraînemens du parti révolutionnaire. C’était là pour elle le meilleur résultat de la guerre d’Espagne. Ce fait explique que beaucoup de bons esprits, trop exclusivement préoccupés des intérêts extérieurs du pays ; que M. de La Ferronnays, par exemple, qui n’était certes pas l’ennemi des institutions sagement libérales, mais que la nature de ses fonctions appelait à considérer les affaires surtout au point de vue diplomatique, aient applaudi à une expédition qui, à tant d’autres égards, semblait devoir leur répugner. Placés en présence des étrangers, ils ne pouvaient pas ne point reconnaître que le gouvernement français pesait désormais dans la balance européenne d’un poids plus grand que cela ne lui était arrivé depuis 1815 et que désormais, dans toutes les grandes questions, on serait forcé de compter avec lui. Leur patriotisme, leurs sentimens monarchiques y trouvaient satisfaction ; ils croyaient déjà