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voir le gouvernement de la Restauration ajouter aux autres bienfaits dont la France lui était redevable, celui d’un renouvellement de sa puissance extérieure et de sa gloire militaire.

« Plus que personne, M. de Chateaubriand s’abandonnait à ces exagérations qui flattaient d’autant plus son amour-propre qu’il avait eu une grande part à l’événement qui y donnait lieu. Dans son enivrement, il se considérait comme le sauveur du trône et de la France, comme l’auteur de leur résurrection et de leur grandeur future. Il lui semblait que désormais tout devait dépendre de lui. »

Ce témoignage de M. de Viel-Castel, malgré ou plutôt en raison même de son peu de sympathie pour Chateaubriand, n’en démontre pas moins la haute situation qu’il occupait alors dans l’opinion européenne et que lui avait méritée le grand service qu’il venait de rendre au gouvernement de son pays en décidant l’expédition d’Espagne. L’envoi du grand cordon de Saint-André et d’une lettre autographe de l’empereur de Russie fut suivi de faveurs analogues du roi d’Espagne, du roi de Prusse, du roi de Sardaigne, du roi de Portugal. En quelques jours, les plus grands ordres d’Europe, la Toison d’Or, l’Aigle Noir, l’Annonciade, l’ordre du Christ, lui parvinrent avec les félicitations des souverains et celles de leurs ministres des affaires étrangères. Depuis le prince de Talleyrand, aucun de nos ministres ne s’est trouvé à pareille fête et n’a reçu des témoignages de distinction aussi flatteurs de la part de l’Europe. Huit jours après, le roi Louis XVIII lui donna le cordon bleu.

Un seul lui manquait pourtant, ce fut un ordre autrichien. L’empereur François lui envoya à la vérité une lettre autographe de remerciement pour la bonne nouvelle qu’il lui avait transmise, et M. de Metternich, de son côté, lui écrivit pour le féliciter. « Mais, nous dit Chateaubriand, la lettre de l’Empereur était froide et ne dit pas un mot de nous. Celle du prince de Metternich contient un petit compliment qui couvre mal un secret dépit. Fidèle à son instinct, le prince avait la prétention de recevoir le cordon bleu avant de nous transmettre les ordres d’Autriche ; or, comme les autres puissances avaient pris l’initiative vis-à-vis des Tuileries, nous ne pensâmes pas qu’il fût convenable de céder à des exigences sans raison ; elles nous paraissaient surtout extraordinaires, vu la manière dont avait agi envers nous le cabinet de Vienne. »