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le roi à Versailles pour le ramener à Paris dans la maison du peuple, les a laissés partir ce matin, s’enfoncer dans l’impasse, en ce palais du roi. Ils se voient dans le délaissement où, tour à tour, ont sombré la Cour, les Girondins, les Dantonistos. Non seulement la tempête ne souffle plus, les poussant au rivage, mais les eaux se sont retirées. Ils sont échoués dans un marécage. Ils ne peuvent que se démener et s’enlizer. Ce sentiment, obscur en eux, les étreint, malgré l’agitation qu’ils se donnent pour s’en distraire, et il les paralyse.

Bonaparte s’était retiré avec Sieyès et Roger Ducos, dans les salons du premier étage. Le temps lui semblait long ; autour de lui on s’efforçait de dissimuler l’inquiétude. « On se regardait, on ne se parlait pas ; on semblait ne pas oser s’interroger et craindre de se répondre. » Bonaparte, nerveux, allait, venait, s’emportait contre les malheureux officiers pour une consigne maladroite, pour un poste mal placé. Et ces lenteurs misérables, cette résistance absurde des petites choses, contre lesquelles tout son génie ne pouvait rien, l’impatientaient prodigieusement, et commençaient à le déconcerter.

Sieyès avait compté que les Anciens, réunis à midi, voteraient sans délibération, ou à peu près, le décret qui suspendait les Conseils, nommait trois consuls provisoires et une commission législative, chargée d’élaborer une nouvelle constitution. Les Anciens n’entrèrent en séance qu’à deux heures. À peine le président au fauteuil, les interpellations partirent de tous les bancs, se confondant dans un tumulte de cris, de gestes. Les uns, ce sont les plus ardens républicains, se plaignent de n’avoir pas été convoqués la veille. Cinquante, cent collègues sont dans le même cas ! s’écrie-t-on. On presse les inspecteurs de la salle qui se dérobent, effarés, confondus. On réclame des explications sur le « complot des jacobins ». On réclame les Directeurs. Des légistes soulèvent cette question préjudicielle : la Constitution veut que le Directoire réside au lieu où délibèrent les Conseils ; où est le Directoire ? Sur ces entrefaites arrive un messager d’État : le secrétaire du Directoire, Lagarde, mande, ce qui est faux d’ailleurs, que quatre Directeurs ont démissionné, et que le cinquième est en surveillance par ordre du général Bonaparte. Les Anciens s’interrogent ; ils ne comprennent pas ; et, dans la confusion, la séance est suspendue un peu avant quatre heures.

Aux Cinq cents, le déchaînement est général. Lucien préside :