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La grève est déclarée ; la carmagnole passe sous les fenêtres ; un pavé casse une vitre ; les amis d’Hargant, fous de peur, « se défilent ».

Au troisième acte, deux grandes scènes. — On croit qu’Hargant et Robert vont enfin s’expliquer. Cette incompréhension réciproque d’un père et d’un fils qui s’aiment, c’est cela qu’il fallait approfondir ; c’est cela qui pouvait, qui devait être la partie originale du drame. Mais si Hargant dit quelques petites choses (les mêmes que Boussard ; moins bien), Robert se dérobe comme toujours. « As-tu un programme ? dit Hargant. Expose-le-moi ! — A quoi bon ? répond Robert, puisqu’il est tout entier dans un mot que vous niez ? » Si ce mot est « pitié », comme j’ai cru le comprendre, il valait pourtant la peine d’en développer le contenu, et, par exemple, de distinguer entre la pitié humble et agissante et la pitié orgueilleuse et stérile.

Puis, Jean Roule et quelques délégués viennent poser à Hargant leurs dernières conditions : journée de huit heures, assainissement de l’usine, substitution des procédés mécaniques à toutes les opérations du puddlage, surveillance sur la qualité des vins et des alcools fournis par les sociétés coopératives, et fondation d’une bibliothèque ouvrière, car le pauvre « a droit, comme le riche, à de la beauté. » Hargant refuse tout ; non seulement la journée de huit heures qu’il n’est réellement pas maître d’accorder, mais l’assainissement de l’usine, et même la bibliothèque (un petit nombre de livres y suffiraient cependant, en dehors des romans-feuilletons). Il met à la porte les délégués, puis son fils. Après quoi, la tête dans les mains, il dit : « Pourtant ce qu’ils demandaient était juste. » Et, quand la troupe arrive pour « rétablir l’ordre », un contremaître ayant crié : « Enfin ! » Hargant soupire : « Déjà ! » Ce puissant usinier est un homme bien nerveux, et d’une bien (extraordinaire inconsistance. Prenons-le comme il est. — Ce troisième acte est incomplet et décevant ; mais quelques éclairs le traversent.

Les grévistes sont réunis dans une clairière. Un groupe accuse Jean Roule d’avoir « barboté » la caisse de la grève, et lui reproche d’avoir repoussé le concours des députés socialistes. Il se défend très bien, et traite, en passant, comme ils le méritent, les politiciens exploiteurs de grèves et chanteurs de carmagnole. Toutefois, il est sur le point d’être écharpé, quand Madeleine, les ailes de sa mante éployées, crie : « Arrière ! », apaise le chef des dissidens en lui rappelant qu’elle a, petite fille, joué avec lui, et souffle dans toutes les âmes l’ardeur de révolte et de martyre qui est en elle. — Les mouvemens de la foule