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la corriger, « la désolante mutabilité des choses. » Il nous rappelle, quand il devrait nous le faire oublier, que « rien ne reste, tout s’écoule, tout passe comme l’ombre. » Plutôt que de supprimer l’accident, il le multiplie à plaisir. Il complique et il alourdit. Il ne restreint ni n’épargne ; il ne daigne jamais « s’accommoder à la débilité ou à la délicatesse de notre esprit. » Enfin, bien loin de choisir, il prodigue, « et nous sommes tentés de dire ce que disait Corinne à Pindare : « C’est de la main qu’il faut semer et non à plein sac. »


La représentation instrumentale, chorale, pittoresque et scénique des Maîtres Chanteurs à l’Opéra n’est pas éloignée de la perfection. Et l’interprétation de Hans Sachs par M. Delmas et de Beckmesser par M. Renaud est la perfection même ; une perfection d’autant plus admirable, qu’elle est de quelque manière en dehors, pour ne pas dire à l’opposé de la nature et du talent de ces deux éminens artistes.


Eve, Salomé, Marie-Magdeleine, Thaïs, Esclarmonde, Manon, Sapho, — M. Massenet en est à sa septième pécheresse et à sa cinquième courtisane. Après quelques jours passés avec cette demi-douzaine plus une, d’aimables personnes, la dernière ne me parait peut-être pas celle que j’aime le mieux.

Mais ce que j’ai aimé beaucoup, c’est de suivre, comme au courant mélodieux de ces œuvres, toutes nommées d’un nom de femme, le talent du plus chérissant de nos musiciens. De ce talent délicieux j’ai cru trouver les grâces premières et les premières caresses dans Marie-Magdeleine, au début d’une page entre toutes exquise : la Magdaléenne au tombeau. C’est ici que tous les élémens de la pensée et du style de M. Massenet se rencontrent dans leur jeunesse, leur fraîcheur et leur pureté. Il n’est pas jusqu’à certaine figure de trois notes, pas davantage, qui ne contienne en germe une des formes mélodiques devenues et restées les plus chères à l’auteur de Manon. Un amateur de micrographie et d’analyse infinitésimale, comme il s’en rencontre aujourd’hui même parmi les critiques musicaux, s’empresserait d’isoler ces trois notes et de leur donner un numéro, pour en faire un des leitmotive générateurs, un des facteurs premiers de l’œuvre entier du compositeur. Un historien de l’évolution musicale observerait avec raison et prouverait sans peine que par l’allure générale et le rythme, par la sonorité même, par l’intimité et l’intensité du sentiment, par la tendresse contenue et profonde, cette introduction procède de certaines pages typiques de Gounod : le duo de Faust (O nuit d’amour !)