et surtout le prélude instrumental du duo nuptial de Roméo et Juliette. Et certes le rappel de cette haute origine ne serait pas pour offenser celui de nos maîtres vivans qu’on a le plus souvent nommé le fils, et je crois même la fille, d’un de nos grands maîtres morts.
Mêmes présages et mêmes promesses dans Eve que dans Marie-Magdeleine. Déjà (voir le prélude de la seconde partie), la tendresse se fait plus passionnée et plus palpitante. La sensualité paraît à certaines ardeurs, que suivent certaines lassitudes, à l’insistance des appoggiatures, au désordre des syncopes, à la douceur alanguie et pâmée des cadences, qu’on peut vraiment appeler ici des chutes. Et tandis que sous les bosquets de l’Éden s’éloignent les deux premiers amans, les trois notes de Marie-Magdeleine, en triolet cette fois, avec leur forme définitive, tracent en quelque sorte dans l’air un des signes sonores où se reconnaîtront le mieux désormais l’écriture et la pensée même du musicien.
À compter de cette partition d’Eve, il est curieux d’observer l’importance singulière que prend dans la musique de M. Massenet le chiffre trois (mesure à trois temps, ou plutôt mesure à base de trois notes par temps). Pour qui voudrait essayer l’analyse ou la psychologie du talent du maître, un des élémens nécessaires serait la nature (ἔθος) de ces rythmes ternaires, balancés et voluptueux. Presque toute la musique passionnée de M. Massenet, la plus vibrante au moins et la plus chaude, est rythmée ainsi : par ce nombre impair, qui plaît sans doute au dieu d’amour (numero deus impare gaudet), le grand duo d’Eve annonce déjà les duos qui suivront : ceux qui seront le plus chastes (le Cid et Werther) comme ceux qui le seront le moins (Hérodiade, Manon, Esclarmonde). Rappelez-vous, balancée d’abord avec quelle indolence ! et puis lancée avec quelle énergie ! la cantilène de Salomé : Ce que je veux ! Te dire que je t’aime. Comme l’aveu montait des lèvres de la courtisane vers le visage étonné du précurseur ! De quel souffle les deux triolets ascendans emportaient l’ardente bouffée d’amour ! C’est à trois temps encore, et encore en triolets que se prépara, puis se consomma le frénétique hyménée d’Esclarmonde. Et je crois bien que de toutes les héroïnes de M. Massenet la jeune princesse byzantine fut décidément la plus expansive, éprise de son Roland avec une ferveur, une fureur que n’avait pas connue l’amante mystique de Jean-Baptiste, et que la maîtresse même de Jean Gaussin ne devait pas éprouver un jour.
Thaïs après Esclarmonde parut sans doute un peu tiède. Et cependant, de ces deux heures que vous savez, et que Mérimée déclarait,