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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/234

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on les voyait tout d’un coup emportés par un cygne, ou par une colombe, ou par tout autre oiseau consacré dans la mythologie la plus septentrionale. Mais, en réalité, le prince Henri s’en va sur des cuirassés et des croiseurs du dernier modèle, et Guillaume, que sa grandeur attache au rivage, retourne à ses affaires et continue de les traiter avec un esprit plus réaliste que romantique. Jamais peut-être il n’y a eu plus de différence entre la qualité des paroles et celle des actes. Les paroles, il faut les citer, bien qu’elles soient connues pour avoir été publiées dans tous les journaux. On se rappelle avec quel accent ému l’empereur avait évoqué devant le Reichstag les dangers que la vie de son frère allait courir en Chine. Ces dangers avaient paru quelque peu chimériques, et il semble bien que l’empereur lui-même n’y a pas cru longtemps, car à Kiel, au moment du départ du prince, il n’a plus parlé que de ceux qui menaçaient l’ennemi. Quel ennemi ? On le saura plus tard. « L’escadre renforcée par ta division, a dit l’empereur Guillaume, devra agir en tant que symbole du pouvoir impérial et maritime, vivre en bon accord et en bonne amitié avec tous les camarades des flottes étrangères de là-bas, afin de protéger avec énergie les intérêts de la patrie contre tous ceux qui voudraient léser un Allemand. Que tout Européen, là-bas, tout commerçant allemand, et surtout tout étranger sur le sol duquel nous nous trouverons ou qui aura affaire à nous, comprenne que le Michel allemand a fermement planté sur le sol son boucher orné de l’aigle impériale, afin de pouvoir, une fois pour toutes, accorder sa protection à tous ceux qui la lui demanderont. » Demandez et vous recevrez : sur ce point, le nouvel Évangile ressemble à l’ancien. L’Allemagne offre sa protection à qui en veut. Depuis l’illustre chevalier de la Manche, on n’avait rien vu de pareil. Mais, encore une fois, ce sont là des mots et les choses seules importent. « Que nos compatriotes, là-bas, continue l’empereur, se pénètrent de la ferme conviction que, quelle que soit leur situation, qu’ils soient prêtres ou négocians, la protection de l’empire allemand, au moyen des navires de la flotte impériale, leur sera accordée de la manière la plus vigoureuse. Et si quelqu’un osait un jour léser notre bon droit, frappe-le de ta dextre gantée de fer. Si Dieu le veut, il tressera autour de ton jeune front des lauriers que personne ne jalousera dans l’empire allemand tout entier. » Si le prince Henri avait pu craindre quelque auguste jalousie, il a dû être complètement rassuré. Il l’a été au point que sa réponse à son frère a atteint les dernières limites du lyrisme. « Enfans, s’est-il écrié, nous avons été élevés ensemble. Plus tard, devenus hommes, il nous a été donné de