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REVUE. — CHRONIQUE.

nous regarder dans les yeux et de demeurer fidèlement unis l’un à l’autre. La couronne impériale a été pour Votre Majesté entourée d’épines… Je connais fort bien la pensée de Votre Majesté. Je sais quel lourd sacrifice elle fait en me confiant un si beau commandement et cela me touche extrêmement. Je lui suis profondément reconnaissant de la confiance qu’elle place dans ma faible personne. Et je puis affirmer à Votre Majesté que ce ne sont ni les lauriers, ni la gloire qui me tentent. Une seule chose m’attire : c’est d’aller annoncer à l’étranger l’Évangile de la personne sacrée de Votre Majesté, et de le prêcher tant à ceux qui veulent l’entendre qu’à ceux qui ne le veulent pas. »

En voilà assez pour donner une idée exacte, sinon complète, de ces deux discours. Ils ont produit dans l’Europe entière une vive impression, mêlée d’embarras en Allemagne et d’étonnement partout ailleurs. En Angleterre, en particulier, ce sentiment a fait explosion. « On s’est demandé quelquefois, a dit le Times, si les Allemands avaient de l’esprit : la question sera irrévocablement résolue par la négative si les augustes paroles prononcées à Kiel ne font pas sourire l’Allemagne entière. » Certes, si on prend les discours de Kiel au pied de la lettre, il est permis et il est facile de s’en amuser : toutefois, nous ne sommes pas sûrs qu’à la réflexion les Anglais ne soient pas revenus sur leur premier jugement. Il y a, dans la harangue impériale, des passages plus sérieux que ceux que nous venons de reproduire. Ils sont conçus dans une langue plus ferme et plus sobre. L’empereur y rappelle l’histoire du commerce allemand et la rattache à la Ligue hanséatique, qui a été, d’après lui, « une des entreprises les plus grandioses que le monde ait jamais vues ». Que lui a-t-il manqué pour prospérer indéfiniment à travers les âges ? La protection impériale. Elle lui a manqué dans le passé ; Guillaume déclare qu’elle ne lui manquera plus dans l’avenir. « L’empire allemand, dit-il, a été créé ; le commerce allemand est florissant et se développe sans cesse ; mais il est certain qu’il ne pourra se développer utilement que s’il se sent en sécurité sous la protection du pouvoir impérial. Le pouvoir impérial implique le pouvoir sur mer comme sur terre : l’un ne pourrait exister sans l’autre. » Voilà pourquoi le Michel allemand, sous les traits du prince Henri de Prusse, est allé planter son bouclier sur les rivages de la Chine, et se tient fièrement à côté, avec sa dextre gantée de fer. Le but poursuivi est moins chevaleresque et beaucoup plus pratique qu’on n’aurait pu le croire au premier moment : il s’agit de faire une formidable réclame au commerce germanique, et de le soutenir au be-