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soin par la force. Est-ce là ce que le prince Henri est allé expliquer à sa grand’mère, la reine Victoria ? L’a-t-il convaincue que l’entreprise était et qu’elle resterait jusqu’au bout pacifique ? L’Évangile impérial, qui va être prêché à ceux qui en voudront et aussi à ceux qui n’en voudront pas, ne contient-il que des vues faciles à concilier avec les intérêts de l’Angleterre ? C’est le secret des entretiens de Windsor. Le prince Henri, en effet, après avoir pris congé de son frère, puis de sa femme, de ses enfans, et des autres membres de sa famille, avec tout l’attendrissement que comportait la circonstance, au milieu d’un appareil féerique, et au bruit du canon qui l’accompagnait de salves retentissantes, a cinglé vers l’Angleterre. Il y a passé deux ou trois jours, puis il est parti pour des destinées inconnues.

Pourquoi ne pas le dire, puisque aussi bien tous ceux qui réfléchissent s’en sont parfaitement rendu compte ? Il y a eu, si on envisage la situation politique de l’Europe, tout autre chose qu’un coup de tête dans l’initiative que Guillaume II vient de prendre en Extrême-Orient ? Tôt ou tard, cette initiative était inévitable. Le développement du commerce allemand depuis quelques années devait, d’une manière presque fatale, pousser le gouvernement impérial à une politique plus énergique et plus entreprenante. L’empereur s’en rendait compte mieux que personne : il l’a montré par l’insistance avec laquelle il n’a pas cessé de demander au Reichstag les moyens de développer sa puissance navale. Il aurait sans doute préféré, avant de se lancer dans une grande entreprise, avoir à ses ordres l’instrument militaire dont il poursuit encore la réalisation ; mais le meilleur moyen de vaincre ses résistances n’était-il pas de placer le Reichstag en face de nécessités tout à fait urgentes ? À côté de ces considérations intérieures, d’autres qui tiennent à la situation extérieure ont contribué à le déterminer. Les groupemens qui se sont formés en Europe, et qui ont amené des alliances aujourd’hui avouées, devaient, malgré leur caractère pacifique, faire naître certaines préoccupations. À ce point de vue, ce n’était pas une pensée médiocre que celle qui consistait à transporter tout l’intérêt politique en Extrême-Orient, et peut-être à l’y absorber, à l’y retenir longtemps. Dans cet immense enclos, ouvert à l’activité de tous, les intérêts des uns et des autres peuvent n’être pas tout à fait les mêmes qu’en Europe, et leurs rapports s’en trouver modifiés. Qui sait s’il n’y aura pas là, pour la solidité de combinaisons encore récentes, une épreuve délicate, pour peu qu’on ne mette pas une extrême habileté à en écarter les périls ? Sans aller si loin, comment nier que les affaires d’Asie font dès aujourd’hui diversion, et une diversion