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JACQUINE VANESSE

TROISIÈME PARTIE[1]


IX


Dès le jour où son château s’était converti en hospice, Mme  Sauvigny avait tenu un journal quotidien et circonstancié de tout ce qui s’y passait. Elle y consignait, avec les menus détails qu’elle craignait d’oublier, un résumé de ses expériences heureuses ou fâcheuses et des remarques sur le caractère de ses quatre-vingts vieillards des deux sexes, valides ou infirmes, payans ou non payans, qu’elle connaissait tous et avec qui elle avait de fréquens entretiens. Son journal leur était exclusivement consacré ; mais cette année-là, à partir du mois d’octobre, il lui arriva de loin en loin d’y insérer des notes et des réflexions qui ne les concernaient point, et qui prouvaient que leur bonheur n’était plus son unique souci, qu’une complication survenue dans sa vie l’occupait beaucoup.

Elle écrivait, par exemple, le 5 novembre :

« Quand Doubleix, ancien couvreur, soixante-seize ans, est entré à l’asile, il avait été convenu qu’il paierait la demi-pension de 250 francs. L’une de ses brus est venue crier misère et m’a demandé de le recevoir parmi les non-payans. Informations prises, il se trouve que son fils aîné, mécanicien à Paris, gagne dix francs par jour, que le cadet, coquetier à Nemours, a récemment acheté un jardin. Après avoir consulté notre trésorier, j’ai refusé et je tiendrai bon. Il ne faut pas dispenser facilement des

  1. Voyez la Revue du 13 décembre 1897 et du 1er janvier 1898.