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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/347

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— Où les hommes reconnaîtront sa propre image. — Qui fait un tableau ou une chanson, les fait, lui, et non pas un autre, ni Dieu ni homme !… — Chaque artiste, don de terreur, est, maître de sa volonté.


Qu’eût dit de cela le pauvre Edgar Poe, esclave de la sensation, visionnaire éperdu dont l’horrible névrose fut la muse ? Comment eût-il jugé ce chevalier de la volonté utilisant la poésie pour combattre tous les maux de son temps et de son pays : l’agnosticisme, l’intolérance, la brutalité, le trafic ? Sans doute, il l’eût blâmé de gâter parfois sa musique en y mêlant des leçons, et nous serions là-dessus d’accord avec lui. Il eût raillé en sa personne l’équilibre imperturbable, la métaphysique, le didactisme, tout ce qu’il abhorrait, mais chez tous les deux néanmoins la poésie fut une passion, non pas un but, et le poète d’Ulalume eût reconnu, malgré les différences, un frère, dans le chantre de la Chattahoochee. Ils se partagent les sympathies de Baltimore, Edgar Poe et Sidney Lanier, l’élu et le maudit, celui-ci dépassant l’autre de toute la sombre grandeur de sa folie, de ses révoltes et de son œuvre, celui-là nous laissant, avec le bienfaisant exemple de la plus noble vie, qui en elle-même est un poème, l’impression du pionnier qui meurt en abordant des régions nouvelles. D’autres, après lui, exploiteront ce qu’il n’a pu qu’entrevoir, esquiveront les périls de la découverte, et substitueront peut-être leur gloire à la sienne comme Améric fit pour Colomb.


TH. BENTZON.