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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/393

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tempérer son refus d’un sourire : « S’il m’était permis, je me ferais un devoir de l’accepter… Mais je ne suis point, messieurs, État libre et indépendant comme vous l’êtes ; mon État est très subordonné, et des lois supérieures, auxquelles je ne dois ni ne puis me soustraire, en aucun cas imaginable et de quelque façon que ce puisse être, me lient les mains et ne permettent qu’à mon cœur de répondre aux marques de votre bienveillance. »

Quand Thorenc fut rappelé, les magistrats, ne pouvant se résigner à le laisser partir les mains vides, écrivirent secrètement à la cour de Vienne et demandèrent pour lui le titre de comte du Saint-Empire romain, « tant à cause des services rendus à la ville qu’en raison de ses nobles sentimens. » Quand Thorenc apprit cette démarche, il eut encore des scrupules. « Je fus effrayé, dit-il dans ses notes, de la dépense dans laquelle la grâce qu’on demandait pour moi allait jeter la ville de Francfort. » Il fallut qu’on vînt le rassurer[1]. Ils écrivirent en outre (la démarche peut sembler assez étrange, si l’on se rappelle la façon dont les relations avaient commencé), ils écrivirent au roi de France pour le remercier de leur avoir donné un tel gouverneur.

Tout en se conciliant les bonnes grâces des bourgeois de Francfort, cet officier ne perd pas de vue le service du roi. La veille de la bataille de Bergen, il fait partir, pour rejoindre l’armée, tout ce qu’il a de (troupes sous la main, déclarant qu’il n’en a pas besoin et qu’il répond de la ville. Dans l’attente de cette bataille, il avait fait jeter un pont de bateaux sur le Mein, armé les remparts, mis les hôpitaux en état de recevoir les blessés.

Ses papiers montrent qu’il a l’esprit observateur : étant en rapport par ses fonctions avec les nombreux petits États du voisinage, il en note les institutions, consigne par écrit ce qu’il apprend sur les personnages les plus influons. Il étudie ce qui fait la force de l’ennemi, et il a des retours sur son propre pays. « Le roi de Prusse est militaire, ses favoris le sont, les ministres… Tout le monde lui fait sa cour en s’occupant ou paraissant s’occuper du métier. Quels généraux n’a-t-il pas formés !… Nous ne sommes pas militaires ; je ne sais si nous le deviendrons jamais. Il faudra un changement dans la constitution des troupes. Il faut que l’officier s’occupe plus de son métier, que tout le monde, colonel, commandans, état-major, soit dans les mêmes principes. »

  1. Ces frais se montèrent cependant, selon les comptes de la ville, à la somme de 6 302 florins.