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procure à l’homme une conception d’ensemble où lui-même, la société, le monde où il vit, sa nature et sa destinée lui soient rendus intelligibles. Il faut, en un mot, que l’esprit positif engendre une philosophie. Autrement, il ne supplantera jamais l’esprit théologique et métaphysique. « On ne détruit que ce qu’on remplace. » Si la doctrine positive n’apporte pas, à son tour, une réponse satisfaisante à des questions que l’homme se pose nécessairement, il n’abandonnera jamais les solutions que lui enseignaient les anciennes doctrines. L’esprit humain ne saurait se passer d’une philosophie : l’unité, qui est son premier besoin, est à ce prix.

Or, jusqu’à présent, l’esprit positif n’a encore constitué que la science, ou plutôt, que des sciences particulières. Il a été « spécial » et fragmentaire, toujours attaché à l’investigation d’un groupe plus ou moins étendu de phénomènes. Il n’a eu en vue que la découverte de lois, le plus générales possible, sans doute, mais toujours relatives à un ordre donné de faits. Avec une prudence louable, et qui a fait sa force, il s’est tenu au plus près de l’expérience. Tout entier à son œuvre d’analyse, il ne s’est jamais élevé à une conception d’ensemble, embrassant la totalité de ce qui existe. Seules, jusqu’ici, les théologies et les métaphysiques ont rem pli cet office, et cet office était, en effet, leur raison d’exister. En sorte que, jusqu’aujourd’hui, l’esprit positif a été « réel, mais spécial », tandis que l’esprit théologique et métaphysique a été « fictif, mais universel ». Si les choses restaient en cet état, aucun des deux ne triompherait jamais des prétentions de l’autre. L’« anarchie mentale et morale » serait sans remède. Mais une solution est proche. Car l’esprit théologique et métaphysique, « fictif » par essence, ne deviendra sans douté jamais « réel » ; mais l’esprit positif, qui n’est « spécial » que par accident, peut acquérir l’universalité qui lui manque. Une philosophie nouvelle sera alors fondée, et le problème résolu.

Ainsi, les sciences positives, sous leur forme actuelle, ne sauraient en aucune manière se substituer aux anciennes doctrines philosophiques. Pour faire disparaître celles-ci, il faut mettre en leur place quelque chose qui, comme elles, réponde à l’idée de l’un et de l’universel. La philosophie, dans la période positive, ne se survivra donc pas à elle-même sous la forme réduite d’une « généralisation des résultats les plus élevés des sciences. » Loin de diminuer le rôle de la philosophie, Comte essaiera d’en