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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/412

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instituer une qui satisfasse plus amplement que ses devancières aux aspirations logiques, esthétiques, morales et religieuses de l’âme humaine. Ses adversaires lui ont reproché de s’être fait de la philosophie une idée étroite et mesquine. Mais si sa philosophie doit expliquer l’évolution de l’humanité, mettre fin à la crise présente, fonder la politique et la morale, et servir de base à la religion, ne semble-t-il pas que l’idée en soit plutôt trop vaste et trop ambitieuse ?


III

Le problème soulevé par Comte n’est pas très différent, au fond, de celui que Kant avait traité au siècle précédent, et qui domine toute la spéculation philosophique des modernes. D’une part, la science positive s’impose à nos esprits, avec sa méthode qui « réussit », et ses principes, légitimés, semble-t-il, par ce succès même. D’autre part, la morale ne s’impose pas moins à notre conscience ; et les conceptions métaphysiques et religieuses qui sont liées jusqu’ici à la moralité, paraissent être légitimées, elles aussi, par cette relation. Comment trouver un point de vue supérieur d’où les exigences logiques et les convictions morales de l’âme humaine s’harmonisent ? Comment ne rien abandonner de ce qui est vital, et satisfaire cependant le besoin d’unité qui est le fond de notre esprit ? C’est pour être entrés, chacun par une voie différente, très avant dans ce problème, que Kant et Auguste Comte ont prononcé des paroles qui ont retenti si longuement et si loin.

Kant a surtout voulu délimiter la portée de la raison théorique, et en fixer les rapports avec la raison pratique. À la fois rationaliste et chrétien, il a cru, dans sa Critique de la Raison pure, garantir à jamais la science contre les attaques du scepticisme et les excès du dogmatisme, en même temps que, dans sa Critique de la Raison pratique, il donnait à la morale du devoir un accent de sublimité presque religieuse. Dans l’évolution de la pensée moderne, il appartient à ce que Comte appelait « la halte protestante. » C’est un homme du XVIIIe siècle, nourri de Newton, de Hume et de Rousseau. Toute sa philosophie, même dans sa partie morale et politique, reste encore purement spéculative.

Mais Comte est de la première génération du XIXe siècle, qui assiste à la lutte de la révolution et de la contre-révolution. Ce