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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/417

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Il ne le semble pas, puisque l’on en est encore aujourd’hui à chercher la définition du fait social, et à discuter sur l’idée même de la sociologie. Mais qu’importe que cette science ne soit pas sortie de la période des tâtonnemens ? L’essentiel était que Comte eût fourni à la spéculation philosophique de notre siècle la forme qui répondait le mieux à ses tendances intimes.

Au fond, l’objet de cette spéculation ne varie guère. Métaphysique et religieuse en France au XVIIe siècle avec Descartes et Malebranche, idéologique et morale au XVIIIe avec Condillac et Rousseau, sociale au XIXe avec Saint-Simon, Comte et Proudhon, ce sont toujours les mêmes problèmes qu’elle agite.

Mais, avec le temps, ils revêtent des aspects nouveaux, et Comte a bien vu que, pour notre époque, ils devaient se formuler en termes sociaux.

N’était-ce pas là d’abord une suite nécessaire de l’ébranlement formidable produit par la chute de l’ancien régime, et par l’entrée des masses prolétaires dans la vie sociale consciente ? Le problème philosophique, dit A. Comte, ne se pose plus après la Révolution comme avant 1789. Elle a rendu la science sociale désormais possible. L’idée de progrès, indispensable à cette science, était inconnue des anciens, apparaissait à l’état d’ébauche chez Bacon, restait imparfaite même chez Fontenelle et chez Condorcet. Après la Révolution, cette idée reçoit une définition scientifique, dans son rapport nécessaire avec l’idée d’ordre.

Mais surtout, la sociologie avait l’avantage de remettre la spéculation philosophique en contact intime avec les sciences positives. En un sens, en effet, la sociologie domine et gouverne toutes les autres sciences, qui peuvent être regardées comme les produits de l’évolution intellectuelle de l’humanité, c’est-à-dire comme de grands faits sociaux. Mais, en un autre sens, la sociologie dépend, à son tour, de toutes les sciences. Car les phénomènes les plus « nobles » sont subordonnés aux plus « grossiers » quant à leurs conditions d’existence. L’homme ne peut se considérer comme un empire dans un empire. La science des sociétés suppose la science des individus qui les composent, c’est-à-dire, la biologie. Toutes deux, à leur tour, impliquent la science du milieu où les êtres vivans sont plongés, et dont la moindre altération les ferait disparaître : c’est-à-dire la physique, la chimie et l’astronomie. Et l’astronomie ne saurait exister sans les mathématiques. La science de l’homme, qui est la science suprême, repose donc sur l’étude