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préalable des autres sciences de la nature, parcourues successivement dans leur ordre de complication ascendante, et sans qu’il en manque une seule. Toute spéculation philosophique qui ne remplit pas cette condition est vaine et chimérique.

Quel contraste entre cette philosophie et l’éclectisme, dont le succès était éclatant, quand parut, en 1830, le premier volume du Cours de Philosophie positive ! C’est à lui que Comte pense lorsqu’il attaque les psychologues et la prétendue méthode psychologique. Les expressions méprisantes dont il se sert s’expliquent par l’incompatibilité foncière des deux doctrines. Les origines de Comte relient la sienne aux sciences positives ; les affinités de Cousin rattachent l’éclectisme au mouvement romantique. Cousin a connu à Paris A.-W. Schlegel, un des principaux théoriciens du romantisme allemand. Dans ses voyages en Allemagne, il a subi d’abord l’influence de Fichte et de Schelling, les deux philosophes romantiques par excellence, et plus tard seulement celle de Hegel. Aussi son éclectisme, sous sa première forme, la seule qui compte, procède-t-il des mêmes principes que le romantisme dont il est contemporain. Subordonner en toute occasion ce qui est réfléchi à ce qui est spontané, et l’entendement discursif à l’intuition immédiate ; faire du « moi » le centre d’où toute réalité est perçue et comprise ; ne considérer de l’univers que sa projection dans la conscience d’un sujet : ce sont là des signes certains de l’esprit romantique.

M. Brunetière a rendu pleinement évidente l’étroite liaison du romantisme littéraire avec cette philosophie toute subjective, qui s’est donné en France le nom d’éclectisme. Mais il a fait voir aussi la prompte réaction qui suivit ce mouvement romantique. Il en a montré les signes jusque chez les romantiques même qui ont survécu à leur génération, et comment surtout leurs successeurs, loin de ne voir la nature qu’à travers l’homme, et de la ramener à lui, ont au contraire replacé l’homme dans la nature et voulu l’expliquer par elle. N’est-ce pas justement ce que Comte a fait en philosophie ? L’éclectisme tirait tout de l’analyse du moi ; Comte n’en tire plus rien. Cette analyse est illusoire, ou tout au moins stérile. Certes, l’individu peut constater en lui-même, par la conscience, qu’il pense, sent et veut. Mais cette constatation ne permet pas d’aller plus loin. Il n’y a que deux manières d’étudier scientifiquement les faits intellectuels et moraux. Ou bien on les considère dans leur rapport avec l’organisme