tant aimé le Midi, il lui a donné dans son œuvre tant de place, et non content d’être Méridional, il s’est tellement efforcé de l’être et il a tellement cultivé en lui le Midi ! Il se pourrait que cette influence n’eût pas été sans efficacité sur celui qui s’y est si docilement soumis et qui l’a si patiemment entretenue. Faisons donc toutes sortes de réserves et réservons notamment le cas des Méridionaux qui pourraient être des gens du Nord, convenons d’avance de toutes les restrictions et de toutes les exceptions, admettons que le Midi auquel nous songeons est le Midi d’Aps en Provence et non point d’ailleurs. Il règne dans ce Midi une lumière subtile qui fait se dessiner joliment les contours des objets et parfois entre ciel et terre compose d’attrayans mirages. Cette lumière prête aux choses une apparence si agréable que volontiers on s’y arrête sans se soucier de pénétrer plus avant et jusqu’à leur essence. Il y a dans ce Midi-là plus d’artistes que de philosophes, plus d’orateurs que de poètes, plus de conteurs que de penseurs. Le mistral, qui à de certains jours y fait rage, avive la sensibilité, excite les nerfs. Daudet est un nerveux. Cette prédominance des nerfs dans le tempérament est une disposition assez ordinaire pour que les effets en soient bien connus. On est soumis à toutes les influences, dépendant de toutes les impressions et de son propre caprice, jamais maître de soi. On est prompt à l’enthousiasme et plus prompt encore à la lassitude et au découragement. On s’emporte, on s’apaise, on se fait pardonner. On est faible. On a besoin des autres. On cherche à leur plaire.
Aussi est-ce bien par la variété que séduit l’œuvre de Daudet. D’un livre à l’autre et souvent dans l’intérieur d’un même livre il s’y mêle des notes très différentes et les élémens les plus divers y sont réunis. Voici, dans le livre de début, l’histoire de ce mélancolique Petit Chose à qui il semble que la ruine de ses parens, l’expérience précoce des difficultés de l’existence, l’exil dans les brumes pénétrantes de la cité lyonnaise, le stage parmi les jeunes bourreaux du lycée de Sar-lande aient à jamais désappris le rire. Et voici que, l’année d’après, ce rire éclate clair et franc dans le récit des aventures prodigieuses et burlesques de Tartarin de Tarascon. Dans les Lettres de mon Moulin, nous passons d’une légende d’un symbolisme transparent, comme la Chèvre de M. Seguin ou la Légende de l’homme à la Cervelle d’or, à un conte sentimental, comme les Vieux, à un drame en raccourci, à une rêverie délicate, à une farce d’une écriture un peu grosse comme le Curé de Cucugnan ou l’Élixir du Père Gaucher. Dans le Nabab, nous passons de l’hôtel d’un brasseur d’affaires à l’appartement d’un petit comptable, au palais d’un ministre d’État, au cabinet d’un maître du