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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/538

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par des factions qui se décimaient et se proscrivaient tour à tour, elle n’en continuait pas moins à exercer au dehors une domination tyrannique et corrompue, en sorte que le jour qui mit fin dans la capitale à une liberté devenue purement nominale fut, pour toutes les provinces, le signal d’une ère de délivrance saluée par une acclamation d’espoir. Chemin faisant, il avait mis sérieusement en doute plusieurs des horreurs ou des scandales légendaires imputés aux premiers empereurs, sur la foi des peintures sombres de Tacite ou des anecdotes cyniques de Suétone. Puis, après avoir établi que quelque bien s’était toujours mêlé même aux plus mauvais jours de l’empire, c’était avec une vive satisfaction qu’il devait saluer d’avance l’avènement des grands empereurs du second siècle, les Trajan, les Antonin, les Adrien, les Marc-Aurèle, ces administrateurs éclairés, ces législateurs philosophes qui, tenant le monde rassemblé sous leur main dans une unité pacifique, lui avaient, suivant lui, procuré de longues années de prospérité matérielle et de progrès moral ; il ne craignait pas plus tard de les compter au nombre des meilleures dont il ait été donné à l’humanité de jouir.

Cette apologie, ou, pour parler plus justement, cette explication d’un grand fait historique avait été peu goûtée, je dois le dire, de cette partie du public libéral qui faisait des dangers de ce qu’on appelait alors le césarisme le thème habituel de son opposition ; et à qui les plus fâcheux souvenirs de l’empire romain fournissaient un moyen commode et un voile transparent pour cribler l’empire français de mordantes épigrammes. On sait avec quel talent des hommes qui n’étaient dépourvus ni de science ni de goût, comme Ampère, Beulé et Prevost-Paradol se livrèrent, pendant toute la durée du règne de Napoléon III, à ce genre de polémique, le seul qui fût compatible avec la réserve imposée alors à la presse.

Le tableau de l’empire présenté par M. Duruy ne favorisait pas ce mode de discussion auquel un sentiment généreux, relevé par un tour piquant, avait rapidement acquis une grande vogue. Dans le milieu d’opposition où il vivait encore, on lui en exprima quelque regret ; mais il n’était pas dans sa nature d’esprit de mettre l’histoire au service même des idées les plus élevées et qui lui étaient le plus chères : il aurait craint d’en fausser le caractère. Il rendait témoignage à la vérité telle que par un examen loyal et réfléchi il avait cru la reconnaître, sans se soucier ni de plaire ni de déplaire à personne. Aussi ne fut-il pas très ému