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quand, le jour de la soutenance de sa thèse, le vénérable président M. Leclerc, fidèle à ses vieilles opinions de collège, lui reprocha assez aigrement d’avoir montré trop d’indulgence pour des criminels couronnés. Le trait aurait d’ailleurs passé inaperçu si un des assesseurs, M. Nisard, ouvertement attaché au régime nouveau, ne fût intervenu en qualité de défenseur officieux et, pour repousser l’accusation, ne s’était engagé dans des distinctions morales très compromettantes que M. Duruy se hâta de désavouer. J’ignore si l’Empereur avait eu connaissance de cet incident de séance, qui fit alors quelque bruit, et s’il l’eut présent à la mémoire quand il avait mandé M. Duruy. Ce n’est pas impossible, car, le monde littéraire étant alors, dans le silence de la tribune, le refuge de la vie politique, tout ce qui s’y passait avait pu appeler son attention. En tout cas, le point de vue auquel M. Duruy s’était placé était assurément celui qui répondait le mieux à ses sentimens : car c’était bien l’œuvre de César dont la légitimité et le bienfait étaient démontrés par ses résultats autant que par ses causes. Aussi quand le même thème dut être développé par M. Duruy lui-même, sous cette forme ample et sévère qui lui était propre, de ce ton grave auquel une conviction profonde ajoutait un accent d’émotion, aucun langage n’était mieux fait pour exercer un véritable charme sur son auditeur qui l’écoutait, tel que nous le peint M, Lavisse, en fixant sur lui ses yeux rêveurs et caressans.

Cette grande figure d’un empire populaire, salué par les acclamations de la foule, pansant les plaies des luttes civiles, opérant dans une unité puissante la fusion de tous les intérêts, cette action pacificatrice d’un pouvoir souverain, n’était-ce pas la vision idéale dont s’était nourrie, dans les loisirs de l’exil ou de sa captivité, l’imagination du neveu d’un nouveau César, devenu l’élu de cinq millions de suffrages ? Si une bouche qui n’était certainement pas flatteuse assurait que ce modèle avait été réalisé dans le passé, pourquoi ne pas se flatter de le faire renaître dans l’avenir ? Sans doute temps, mœurs, situation, tout avait changé et l’assimilation était trompeuse : M. Duruy le savait trop bien pour ne pas en avertir. De plus, tout en reconnaissant les heureux effets de l’institution impériale dans le monde ancien, il n’avait jamais déguisé les faiblesses et les vices qui en avaient trop souvent troublé et même déshonoré le cours, puis finalement causé la ruine, l’abaissement des caractères et l’affaissement des