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serait attendu de lui. M. Lavisse dit qu’il croyait qu’après la retraite du titulaire, M. Mocquart, ce serait le poste de chef du cabinet qui lui serait offert, et il avouait qu’il ne se serait pas senti la force de le refuser. Et, au fait, pourquoi aurait-il cherché à s’y soustraire ? Est-ce qu’un des mérites de ces bons empereurs dont il célébrait les bienfaits n’est pas d’avoir admis dans leur confiance des ministres éclairés pris souvent parmi les lettrés du temps, qui, en les aidant à remplir leur tâche, ont assuré eux-mêmes à leur propre nom une juste considération dans la postérité. Quelqu’un s’est-il jamais étonné que Pline ait été le proconsul de Trajan, Papinien et Ulpien les préfets du prétoire de Septime et d’Alexandre Sévère ? Je ne crois pas que M. Duruy ait jamais pensé, comme le dit quelque part M. Renan, que « ce qui avait manqué à Marc-Aurèle pour faire un bien durable, c’était d’avoir pu donner une bonne direction à l’instruction publique[1]. » Ce mode de rapprochement semi-plaisant n’était pas dans le tour d’esprit de M. Duruy qui parlait toujours sérieusement des choses sérieuses. Mais, s’il pensa que pour introduire dans l’éducation de la jeunesse des réformes qu’il jugeait utiles et dont ses fonctions d’inspecteur général lui avaient fait plus que jamais reconnaître la nécessité, un pouvoir très étendu mis à sa disposition par la faveur du prince, était un moyen d’action qu’il ne fallait pas négliger et dont il saurait tirer parti, c’était une espérance très légitime, et l’événement a fait voir qu’elle était fondée.


II

Il ne s’attendait pourtant pas à sa nomination, dont l’avis vint le surprendre à Moulins, au milieu d’une tournée d’inspection. De retour rapidement à Paris, dès qu’il se fut convaincu que le choix était sérieux et que l’Empereur tenait à le confirmer, il se mit à l’œuvre, et on le vit, dès le premier jour, déployer dans l’action la même puissance de travail qu’il avait portée dans l’étude. Et ce qu’il y eut de particulièrement remarquable dans cette administration qui ne dura que six années (en ce temps-là on trouvait qu’un ministère de six ans était trop court), c’est qu’il

  1. Renan, Marc-Aurèle, p. 52.
    L’attachement à la religion d’État n’entretenait que la superstition et empêchait l’établissement d’une bonne instruction publique, mais ce n’était pas la faute de l’Empereur ; il faisait le bien qu’il pouvait.