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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/546

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professées dans quelques-uns des cours de l’Université et qu’on signalait comme dangereuses pour la morale et pour la paix publique. Plusieurs de ces imputations étaient appuyées sur des textes mal interprétés, d’autres très exagérées, et toutes émises sur un ton acerbe et passionné peu convenable à la nature élevée du sujet. Eussent-elles été d’ailleurs mieux justifiées et mieux présentées, ce n’était pas au nom des motifs de ce genre qu’il fallait réclamer la liberté. Les abus du pouvoir sont assurément au nombre des causes qui peuvent rendre, à un moment donné, la liberté désirable et même nécessaire ; mais, si on veut qu’elle reste digne, sûre et durable, il faut la faire dériver d’une source plus élevée et reposer sur de plus solides fondemens. En matière d’éducation surtout, ce qu’il faut invoquer, c’est le droit pour la conscience et pour la famille de ne pas être contraintes à laisser le plus cher de leurs intérêts à la discrétion plus ou moins favorable d’un pouvoir humain. Faute d’avoir été placée sur le terrain du droit, la question, mal posée, fut mal débattue de part et d’autre. La discussion dévia même jusqu’à porter sur des théories métaphysiques, et même médicales, qui n’étaient assurément pas de la compétence d’une assemblée délibérante. La confusion fut telle que, quand le vote eut lieu, sa vraie signification était impossible à reconnaître, et c’est ainsi que M. Sainte-Beuve, qui faisait ce jour-là son début au Sénat par une apologie retentissante de la liberté de penser, finit par adhérer à un ordre du jour qui la refusait à ceux qui ne pensaient pas comme lui.

Le rôle de M. Duruy dans ce débat fut assez ingrat ; mais je ne crois pas que, la circonstance donnée, aucun ministre en eût pu jouer un meilleur. Il devait défendre les professeurs qu’il croyait injustement attaqués, mais il devait aussi rassurer la majorité du Sénat que les reproches faits à l’enseignement universitaire avaient visiblement troublée. Il crut ne pouvoir remplir ce double devoir sans débuter par une profession de foi spiritualiste, faite au nom du corps enseignant tout entier, et comme la condition obligatoire de son existence : il y comprenait, avec l’existence de Dieu, les devoirs religieux, la liberté morale et même l’immortalité de l’âme. C’était un très noble corps de doctrine, tout à fait conforme à la sincérité de ses convictions personnelles ; mais ce n’en était pas moins une sorte de philosophie d’État, qu’à ce titre plusieurs de ceux qu’il voulait protéger n’auraient pas consenti à souscrire ; ce qui fait que ce mode d’apologie ne les contenta