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à la reconnaître aujourd’hui. » Jamais prévision n’a donc été mieux réalisée. Je ne crois pas qu’il y ait eu d’occasions où M. Duruy ait mieux fait voir que, au tour d’esprit spéculatif et élevé dont il était doué, se joignaient une véritable habileté pratique et l’art de tourner les obstacles qui empêchent trop souvent le passage de la théorie à l’application.

Ce fut cependant à propos d’une question relative à l’enseignement supérieur que M. Duruy eut affaire à l’opposition la plus vive que son administration ait rencontrée et qu’il fut amené à aborder la tribune dans un conflit parlementaire dont l’issue était incertaine. Je crois même que c’est la seule fois que cette épreuve, à laquelle sa carrière l’avait peu préparé, lui fut imposée. Peu de choses, on le sait, ont fait plus de bruit, en leur temps, que la discussion engagée au Sénat de l’Empire sur une pétition qui réclamait la liberté d’enseignement supérieur ; mais il est aussi peu de souvenirs sur lesquels il y ait moins d’intérêt à revenir parce que, cette liberté étant aujourd’hui établie et très paisiblement pratiquée, la plupart des argumens échangés alors, soit pour l’obtenir, soit pour la refuser, ont perdu leur opportunité. Il suffit de rappeler que l’enseignement supérieur était, à ce moment, la seule partie de l’instruction publique qui fût encore soumise au monopole de l’Université. L’enseignement primaire en avait été affranchi depuis 1833 par la loi libérale de M. Guizot. L’assemblée législative de la seconde République avait ouvert la même facilité à la concurrence dans l’enseignement secondaire par la loi de 1850 et, par le dernier article de cette même loi, elle avait clairement annoncé l’intention d’en étendre le bienfait à l’instruction supérieure ; mais le temps lui avait manqué pour remplir cet engagement qui, resté depuis lors sans exécution, était, il faut bien en convenir, tombé en oubli. C’était le tort de ceux que cette liberté devait principalement intéresser, et en particulier de l’épiscopat français qui, entraîné dans un mouvement général de réaction, avait préféré, pour la défense et la propagation des vérités qui lui sont chères, aux épreuves de la concurrence, l’appui bienveillant du gouvernement. Quand divers indices lui firent croire que le temps de la confiance était passé, il était tard pour rappeler un engagement qu’on paraissait avoir laissé prescrire.

Pour réveiller l’opinion, on crut bien faire d’appuyer la demande de la liberté sur le caractère fâcheux des doctrines