assourdi les oreilles des magistrats et ne leur aurait pas permis de maintenir même la tranquillité matérielle. C’eût été en permanence le spectacle que dépeint Virgile sur le bouclier fatidique donné à Enée par sa mère :
Omnigenumque Deum monstra et latrator Anubis
Contra Neptunum et Venerem contraque Minervam,
Mise à une telle épreuve, que serait devenue la fameuse paix romaine ? Elle ne subsistait que parce qu’une sage politique avait amené des déités d’humeur complaisante à s’incliner en se donnant la main devant la majesté suprême, la divinité par excellence, Rome, elle-même, incarnée dans la personne ou la mémoire de ses empereurs. La condition essentielle et vitale de cette paix, à d’autres égards si bienfaisante, c’était, non pas la tolérance (c’est un mot qu’il ne faut pas profaner), mais la promiscuité de tous les cultes. C’était la garantie de ce que M. Duruy appelle, dans le langage qui était probablement celui des conservateurs du temps, l’ordre établi.
Mais c’était celle-là justement à laquelle à aucun prix, sous aucun prétexte, sous aucune forme, les chrétiens ne voulaient se prêter. Il est à croire pourtant que, s’ils eussent consenti à prendre place dans ce conciliant éclectisme, on ne les en aurait point exclus : on les aurait laissés ouvrir un sanctuaire à leur maître juif à côté de ceux qui étaient déjà consacrés à tel sage ou à tel magicien de Perse, de Chaldée ou d’Egypte. On prétend même qu’Alexandre Sévère, élevé par une mère qui avait suivi en Asie les leçons d’Origène, plaça dans son oratoire particulier l’image du Christ entre celles d’Orphée et d’Abraham. Mais l’idée seule d’un tel voisinage aurait soulevé une conscience chrétienne. Bien qu’affranchis des formalités étroites de la synagogue, les chrétiens n’en étaient pas moins toujours les adorateurs du Dieu jaloux, de celui qui, du haut du Sinaï, au milieu des foudres et des éclairs, avait fait entendre ce commandement : « Ecoute, Israël, je suis le Dieu vivant : tu n’auras pas d’autre Dieu devant ma face », et, s’il leur apparaissait aujourd’hui dans l’éclat voilé de son humanité, ce n’était pas pour souffrir qu’aucun autre nom fût associé au nom divin qu’il avait porté. Jésus pas plus que Jehovah n’admettait ni mélange, ni partage. Passe encore si ce Dieu insociable se fût contenté des hommages silencieux de ses serviteurs ; mais que des envoyés inconnus vinssent en son nom chercher tous