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doctrine de l’existence et de l’autorité d’un Dieu unique, c’est celle-là même qu’à tous les momens de sa vie et dans tous ses écrits, il a constamment professée. S’il hésitait à la rattacher aux croyances révélées et surnaturelles qui pour des chrétiens en sont inséparables, s’il persistait à l’appuyer sur des preuves exclusivement rationnelles, il a du moins toujours tenu à lui rendre un public hommage. Déiste, il l’a toujours été sans réserve et sans ambage. C’était à ses yeux la foi naturelle de l’humanité, et si elle l’avait perdue un jour, tôt ou tard elle avait dû y revenir. Aussi s’est-il toujours appliqué à en retrouver la trace dans les plus mauvais jours des temps dont il a écrit l’histoire, et il croyait la reconnaître à des indices qui, pour un observateur moins perspicace ou moins favorable, n’auraient pas semblé si apparens. Il trouvait déjà les vestiges d’un monothéisme latent, flottant (c’est son expression même) dans les vagues effusions du lyrisme grec. A plus forte raison se plaisait-il à en suivre le développement dans les divers systèmes philosophiques de la Grèce et de Rome, prêtant même à leurs plus illustres représentans, à Socrate, à Platon, à Cicéron, à Marc-Aurèle, plus de courage pour combattre l’erreur commune qu’ils n’en ont réellement fait voir. Enfin, dans un autre de ses écrits que j’ai déjà signalé, son Introduction générale à l’Histoire de France, appelé à traiter des théories en cours sur l’origine des temps préhistoriques, il laisse voir sa préférence pour celles qui admettent que « le pouvoir créateur, après avoir jeté sur la terre les premiers germes de vie », loin de se reposer, reste toujours en activité : « tout en respectant, nous dit-il, le secret que Dieu s’est réservé[1]. »

Ce n’est donc point s’écarter de l’inspiration générale de ses écrits, c’est bien plutôt s’y associer, que d’applaudir sans réserve à la révolution religieuse, qui a rendu familière aux moindres esprits une doctrine longtemps méconnue par les plus grands, et dont lui-même sentait tout le prix. Réduite ainsi à ce point unique, quelle que soit son importance, la contradiction n’atteint pas l’ensemble de son œuvre. C’est y rendre hommage, au contraire, que de reconnaître à tous ses jugemens une telle autorité que ceux qu’on laisserait passer sans appel seraient enregistrés par l’histoire.


DUC DE BROGLIE.

  1. Introduction générale à l’Histoire de France, p. 55 et suiv.