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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 145.djvu/587

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il ne veut pas avouer hautement son goût, et le met sur le dos de sa fille : « Il a toujours dit que c’était pour moi qu’il jouait, et m’a toujours demandé si cela me plaisait ; si j’avais dit non, je l’aurais mis au désespoir !... » Et ce sont des répétitions interminables, dont chacun, sauf le prince, sort brisé de lassitude : « Du 12 novembre à la fin de décembre, nous jouons tous les huit jours une comédie en trois ou cinq actes et un opéra-comique ! » Il faut apprendre paroles et musique, répéter quotidiennement de dix heures du matin à deux heures après-midi, et de cinq heures et demie à dix heures du soir : « Quand je me couche, dit-elle, je n’en puis plus de fatigue ! » Et il lui arrive une fois de s’évanouir en scène, épuisée par l’effort qu’elle a dû s’imposer.

Ces agitations de surface, en dérangeant son repos, n’atteignaient point le calme intérieur de son âme, pareilles à ces rides légères qui courent, sans en troubler la paix, sur le cristal de l’eau. L’orage qui bouleversa son être tint à des causes plus profondes, bien qu’un incident vulgaire, — un accident, pour mieux dire, — en ait été l’occasion apparente. En parcourant un jour la terrasse des Tuileries, elle glissa sur une pierre, tomba rudement, et se cassa la jambe au niveau du genou. Il y avait foule au jardin ; on s’empressa autour d’elle ; les hommes cherchèrent un brancard ; les femmes entassèrent leurs manchons ; et, sur cette litière improvisée, on la porta dans son hôtel. Durant ce long trajet, il ne lui échappa aucune plainte. Même, ayant distingué dans le public son maître d’italien, elle voulut, dit-on, qu’il la suivît jusque chez elle, et prit sa leçon ordinaire, en attendant le chirurgien. Elle n’en fut pas moins au lit plus de quarante jours, et, dès qu’elle put marcher, les médecins l’envoyèrent à Bourbon-l’Archambault, où les eaux et le traitement hâtèrent sa convalescence. De ce premier séjour, je n’ai rien de saillant à dire ; mais elle y revint l’année d’après, pour assurer une guérison encore fort incomplète ; elle y retrouva la santé, et rencontra du même coup le roman de sa vie.


IV

La petite ville de Bourbon-l’Archambault, située à quinze lieues de Bourges et soixante-cinq de Paris, est une des plus antiques stations thermales de France. Nos ancêtres les Gaulois, si l’on en croit la tradition, en connaissaient déjà les vertus. Les ducs de Bourbon en firent au XIIIe siècle leur principale résidence ; ils y bâtirent