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Wellington avaient pris sur eux d’agir sans attendre ses ordres, et d’autres avaient intelligemment désobéi à ceux qu’après tant de temps perdu, il s’était décidé à donner. Dans l’après-midi de la veille, le major Normann avait défendu Frasnes, le prince Bernard de Saxe-Weimar s’était porté avec sa brigade de Genappe aux Quatre-Bras, et le général Chassé avait concentré sa division à Fay. Un peu plus tard, Constant Rebecque, chef d’état-major du prince d’Orange, prescrivit, en l’absence de celui-ci, à Collaert de rassembler la cavalerie derrière la Haine, et à Perponcher de se préparer à marcher aux Quatre-Bras. A 11 heures du soir, enfin, le même Rebecque, ne pouvant éviter de transmettre aux divisionnaires l’ordre de Wellington de concentrer tout le corps néerlandais à Nivelles, c’est-à-dire de découvrir la route de Bruxelles, joignit à cet ordre des instructions verbales qui les laissaient libres de ne s’y point conformer. « On ne peut connaître à Bruxelles, disait-il, l’exacte situation des choses. » Perponcher n’hésita pas. Au lieu de maintenir à Nivelles la brigade Bylandt et d’y rappeler la brigade Bernard de Saxe, ainsi que le prescrivait Wellington, il marcha avec Bylandt sur les Quatre-Bras au secours du prince Bernard. Ah ! si Napoléon avait eu comme chef d’état-major un simple Constant Rebecque, et comme lieutenans seulement des Bernard de Saxe et des Perponcher ! Et quelle belle occasion, d’autre part, pour les professeurs de stratégie comme Charras de dénoncer la funeste indécision, la torpeur d’esprit, l’affaiblissement moral de l’Empereur si, la veille d’une bataille. Napoléon était resté dix heures sans concentrer ses troupes, avait ensuite prescrit un mouvement dans une direction opposée à celle de l’ennemi, et avait enfin passé la nuit à parader au bal !

Mais, à la guerre comme au jeu, rien ne prévaut contre la Fortune. Lorsque Wellington, parti de Bruxelles à 6 heures du matin, arriva vers 10 heures aux Quatre-Bras, il y trouva la division Perponcher, quand il aurait dû y trouver l’avant-garde du maréchal Ney. Sa Grâce, paraissant oublier que l’on avait agi à l’encontre de ses ordres, daigna féliciter le général Perponcher sur ces dispositions. Puis, après s’être avancé assez proche de Frasnes pour bien observer les emplacemens des avant-postes français, il dépêcha l’ordre à la division Picton et au corps de Brunswick, arrêtés à Waterloo, de reprendre leur marche, et il écrivit à Blücher que les Quatre-Bras étaient occupés par une